Ma contribution au rapport sénatorial sur le revenu de base

Mercredi 19 octobre, la mission d’information sénatoriale sur le revenu de base, dont j’étais vice-président, a rendu les conclusions de six mois de riches et intenses travaux. Ces conclusions prennent la forme d’un rapport « Le revenu de base en France : De l’utopie à l’expérimentation » dont je salue la qualité. Je me félicite que Sénat se soit emparé d’un sujet que je porte depuis plus de vingt ans et vous invite à retrouver ma contribution à ce rapport :

Mission commune d’information sur le revenu de base

Contribution de Jean DESESSARD du groupe écologiste

Le Groupe écologiste tient à remercier les membres de la mission pour la qualité du travail mené. Il salue en particulier l’animation assurée avec énergie par son président et son rapporteur, la qualité et la précision du rapport ainsi que la diversité enrichissante des intervenants auditionnés.

Le Groupe écologiste se félicite de l’organisation de cette mission, à la suite de la proposition de résolution pour l’instauration d’un revenu de base qu’il a défendue dans notre assemblée le 19 mai 2016. A l’issue de ce débat, le Groupe socialiste s’est saisi de ce sujet passionnant en sollicitant cette mission d’information, apportant à la réflexion collective sur le revenu de base la légitimité institutionnelle qui lui faisait encore défaut. Il en résulte le présent rapport dont le titre « Le revenu de base de l’utopie à l’expérimentation » situe bien l’évolution de la réflexion sur le sujet. Ce rapport, fruit de longs et riches travaux, dresse ainsi un vaste tableau des différentes analyses sur le revenu de base, s’attardant sur le concept et ses origines, sur sa (ses) définitions, embrassant tous les points de vue et formulant des propositions concrètes

En Finlande, en Suisse, aux Pays-Bas, c’est désormais un débat à l’échelle européenne qui s’est ouvert ces dernières années sur le sujet. Notre mission a pu s’en rendre compte lors de ses déplacements pour observer les expérimentations en cours à Helsinki et à Utrecht.

Rien d’étonnant à cela, alors que le chômage de masse se consolide, que les richesses n’ont jamais été aussi mal réparties, que l’économie collaborative rationnalise les échanges économiques à l’extrême (supprimant tous les intermédiaires commerciaux entre producteurs et consommateurs), que la robotisation et l’automatisation remplacent et remplaceront des millions d’emplois… L’ampleur des bouleversements à l’œuvre en ce XXIe siècle donne le vertige et invite à verser au débat des propositions ambitieuses.

Le revenu universel est de celle-ci.

Plusieurs définitions du revenu de base existent, mais le rapport s’est concentré sur les convergences entre les points de vue : inaliénable, inconditionnel et cumulable, voilà le principe du revenu de base. Cela signifie que tous les individus présents sur le territoire national ont droit à un même revenu, cumulable avec d’autres revenus, notamment des salaires, qui leur sera versé chaque mois automatiquement sans qu’ils n’aient besoin de faire de démarche particulière.

Améliorer notre solidarité nationale

Parmi toutes les vertus du revenu de base, la plus essentielle est de lutter efficacement contre la pauvreté. Cette lutte contre la pauvreté est au cœur de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme de 1948, puisque son article 25 affirme que : « Toute personne a droit à un niveau de vie suffisant pour assurer sa santé, son bien-être et ceux de sa famille, notamment pour l’alimentation, l’habillement, le logement, les soins médicaux ainsi que pour les services sociaux nécessaires ». Avec près de 9% de nos concitoyens vivant sous le seuil de pauvreté, cet objectif n’est pas toujours pas atteint… Cette donnée montre clairement les insuffisances de notre système actuel de solidarité nationale

Comme le montre très bien le rapport, le revenu de base permet tout d’abord de simplifier grandement notre régime de prestation sociale, extrêmement complexe. Le taux de non recours aux prestations sociales, considérablement élevé (près de 50 % pour le RSA), doit nous alerter. Le revenu de base permet de régler ce problème.

Les écologistes proposent, à l’instar de la mission, que le revenu de base vienne se substituer aux actuels minimas sociaux existants (si le montant du minima est supérieur au revenu de base instauré, le différentiel serait naturellement préservé). Cette simplification, associée à la fin du contrôle des allocataires, aura également pour effet de diminuer les frais de gestion, d’économiser des moyens humains et financiers pour les remobiliser vers d’autres missions.

Le revenu de base présente un autre avantage révolutionnaire par rapport au régime social existant. En étant cumulable avec tout type de revenu, il supprime, comme l’explique le rapport, « les trappes à inactivité » créées par le RMI/RSA et ses effets de seuils. Aujourd’hui, face à l’incertitude que représente le calcul de son montant de RSA, face au découragement que provoque l’idée de devoir recommencer toutes les fastidieuses et humiliantes démarches administratives nécessaires à son obtention, de nombreuses personnes refusent des contrats courts ou des contrats à temps partiel. Ceci créé des « trappes à inactivité », situation où la reprise d’un emploi précaire, entraînant une fermeture des droits au RSA, pénalise l’allocataire, plutôt qu’elle ne lui bénéficie. Le revenu de base, cumulable avec tout type de revenu du travail, met un terme à cette situation. Loin de désinciter au travail comme on l’entend beaucoup trop souvent, le revenu de base serait, de fait, beaucoup plus efficace que l’actuel RSA pour favoriser le retour vers l’emploi des chômeurs.

En s’intéressant au revenu de base comme une méthode de rénovation de notre protection sociale, un autre avantage est à faire valoir : il supprime la notion « d’assistanat ». Aujourd’hui, de nombreux responsables politiques, l’administration en charge du contrôle des allocataires, le regard d’une société de plus en plus individualiste font peser sur nos concitoyens les plus fragiles, les plus précaires un odieux soupçon, celui d’être les « parasites » d’une société dont ils ne contribueraient pas au bon fonctionnement. Le revenu de base, en tant que droit universel, versé à tous les citoyens à montant égal fait disparaitre le concept même « d’assisté », puisque tous les citoyens en sont bénéficiaires.

Le revenu de base est de fait « le pilier manquant de notre protection sociale », comme l’exprime si bien le « Mouvement Français pour le Revenu de Base » (MFRB).

Accompagner les évolutions du travail

Le marché de l’emploi est amené à subir des mutations profondes dans les années à venir. En octobre 2014, une étude publiée par le cabinet Roland Berger a estimé que le numérique pourrait supprimer 3 millions d’emplois en France à l’horizon 2025. Il s’agit des robots, mais aussi des logiciels et applications, de plus en plus omniprésents dans notre vie quotidienne. Il est indispensable que notre société trouve le moyen de fiscaliser les gains de productivité réalisés par les machines, logiciels et ordinateurs, afin de les redistribuer à la société pour compenser les pertes d’emploi afférentes.

Face à cette révolution, le revenu de base apparait ainsi comme une solution durable face à un chômage structurel. Il permet à chacun de disposer d’un minimum vital, lui garantissant une place dans la société.

Moins dépendant du salaire pour subvenir à ses besoins, le travailleur – ou le demandeur d’emploi – se voit ainsi renforcé dans la négociation avec l’employeur qu’elle concerne sa rémunération aussi bien que ses conditions de travail.

Le revenu de base permet aussi d’envisager une diminution du chômage par un partage « souple » et choisi du travail, c’est-à-dire ni par la contrainte de la loi, ni par la contrainte du marché et de son cortège de temps partiels subis. Le revenu de base est l’outil essentiel pour l’avènement de la « civilisation du temps libéré » imaginée par le philosophe André Gorz au siècle dernier qui propose de mettre à profit les immenses gains de productivité offerts par la technologie pour travailler moins et repenser l’activité humaine : familiale, associative, démocratique…

Le revenu de base est aussi un moyen efficace pour sécuriser les jeunes entrepreneurs, les travailleurs indépendants et tous les travailleurs de l’économie collaborative à mi-chemin entre auto-entreprenariat et salariat déguisé. Une manière d’inviter nos concitoyens à innover et prendre des risques en leur assurant, quoiqu’il advienne, leur subsistance.

Dans un monde en pleine mutation, le revenu de base constitue un puissant levier de transformation de la société

Transformer la société

A force de créer des besoins, de créer des emplois pour créer des emplois, de poursuivre la destruction de notre planète pour tenter de prolonger la trop funeste croissance du PIB, le travail perd de son sens pour toute une partie de nos concitoyens, tant et si bien qu’un tiers des travailleurs se retrouvent dans le concept de bore-out, (l’ennui au travail).

Le revenu de base est le levier qui permet à tous ces travailleurs de s’arracher du productivisme en redéfinissant leur activité qu’elle soit culturelle, sociale, écologique ou démocratique (potentiellement beaucoup plus bénéfiques à la société que nombre d’activités économiques existantes). Pour les jeunes, sur qui la contrainte économique pèse plus que les autres, pour les femmes, encore limitées par les vestiges persistants de la société patriarcale, pour les artistes, les citoyens engagés, etc. le revenu de base individualisé serait un extraordinaire vecteur d’autonomie et donc d’émancipation.

Le  rapport néglige quelque peu cette dimension du sujet.

Par ailleurs, en supprimant notre dépendance à la croissance économique, le revenu de base permettrait de mettre en œuvre la transition écologique avec beaucoup de sérénité. En luttant contre la centralisation des emplois, le revenu de base favoriserait le développement de l’activité dans tous les territoires et plus particulièrement les territoires déshérités, victimes de la mondialisation sauvage. Pour les petits agriculteurs notamment, il serait un complément, leur permettant de maintenir leur exploitation et de résister dans un système agro-industriel qui les broie. Bref, en changeant le paradigme économique dominant, le revenu de base constitue un outil fondamental pour la mise en œuvre du projet de société porté par les écologistes.

 

Financer le revenu de base

La mission n’a pas tranché cette complexe question. Néanmoins, le rapport présente de façon détaillée toutes les pistes existantes de l’impôt négatif à l’allocation universelle en passant par la dotation en capital. Toutes apparaissent complexes à mettre en œuvre, techniquement et/ou politiquement, et toutes nécessitent une réforme fiscale d’ampleur.

Au regard de tous les bénéfices évoqués précédemment, nous défendons la mise en œuvre progressive d’une allocation universelle. Pour ce faire, nous retenons le scénario progressif proposé par le MFRB :

  • Etendre le RSA aux 18-25 ans (aujourd’hui exclus du dispositif) ;
  • L’individualiser (aujourd’hui un couple touche 1.5 RSA et pas 2) ;
  • Supprimer la conditionnalité (recherche d’emploi) du RSA et automatiser son versement ;
  • Créer une allocation enfant (pour tous les enfants) en remplacement de la politique familiale actuelle ;
  • Universaliser le revenu de base, c’est-à-dire l’étendre à toute la population.

En ce qui concerne le financement, il faut comprendre que l’instauration d’un revenu de base au niveau du RSA (525 euros) coûterait plus de 400 milliards d’euros. Il n’est naturellement pas envisagé de remplacer toutes aides sociales existantes par un revenu de base, mais certaines seront amenées à disparaitre (tout ou partie) pour contribuer à son financement.

Le reste du financement serait assuré par une réforme complète de l’impôt sur le revenu qui comprendrait la suppression des quotients familial et conjugal, d’un certain nombre de niches fiscales et l’instauration d’un nouveau barème de l’impôt sur le revenu pour lequel tous les citoyens contribueraient dès le premier euro gagné (hors revenu de base).

Expérimenter le revenu de base

Le Groupe écologiste salue la volonté de la mission de passer « de l’utopie à l’expérimentation ». Il se félicite de l’ambition du dispositif imaginé : 20 à 30 000 personnes, dans plusieurs départements aux caractéristiques socio-économiques différentes, se verraient verser un revenu de base du montant du RSA durant 3 années.

Il regrette néanmoins vivement que le dispositif imaginé pour les 18-25 ans ne soit pas inconditionnel, traduisant, comme trop souvent, la vision paternaliste que notre société a de sa jeunesse

Conclusion

Nous saluons le travail de la mission, ce rapport constituant une avancée dans la réflexion pour la mise en place d’un revenu de base.

Le revenu de base, universel et inconditionnel, apparait comme un nouvel outil de solidarité, efficace pour lutter contre la pauvreté, adapté aux transformations de notre économie. Plus qu’un rêve, il s’agit aujourd’hui d’une nécessité, et comme le dit si bien le philosophe et économiste Philippe Van Parijs, « Un jour, nous nous demanderons comment nous avons pu vivre sans le revenu universel ».