Monsieur le président, madame la ministre, messieurs les rapporteurs – que je remercie pour leur participation active et plaisante pendant ces quinze jours –, mes chers collègues, je débuterai mon propos en reconnaissant un vrai talent.
Oui, madame la ministre, vous avez ce talent d’aimer le débat politique et, pendant ces quinze jours, vous avez eu à cœur d’expliquer, d’argumenter, de chercher à convaincre ! Ce texte, comme vous aimez le dire, vous l’avez défendu à 200 % !
La pièce maîtresse de cette défense est l’idée selon laquelle la négociation au niveau de l’entreprise permettra une adaptation plus fine de son organisation aux besoins du marché, par nature variables, tout en contribuant à recréer du dialogue social de proximité.
Nous souscrivons, bien sûr, à la nécessité d’adapter la production en fonction des commandes et d’étendre la participation des salariés à la bonne marche de l’entreprise. Mais la question est la suivante : en quoi cela n’est-il pas possible aujourd’hui ? Vous avez, durant ces quinze jours, évoqué la signature de nombreux accords d’entreprise dans le cadre de la loi actuelle.
Si nous partageons cette philosophie prônant l’instauration du dialogue social à tous les niveaux – national, par branche ou par entreprise –, nous ne pensons pas que le projet de loi Travail, tel que vous nous le présentez aujourd’hui, dans le contexte économique actuel, et compte tenu du climat qu’il a créé, garantisse un progrès social pour les salariés. Nous ne pensons pas non plus que son adoption permettra de créer des emplois et d’enrayer la précarisation croissante du salariat.
Effectivement, un certain nombre d’entrepreneurs peuvent utiliser l’article 2 à bon escient et gérer, dans le cadre d’accords d’entreprise, un bon équilibre entre le développement économique et le respect des conditions de travail des salariés.
Mais dans certaines entreprises à faible organisation syndicale, des patrons, à la recherche du profit maximal, installeront les conditions les plus dures pour les salariés, lesquelles pourraient, dans le cadre d’une forte concurrence, devenir la norme.
C’est ce que nous appelons le « moins-disant social ». En répondant à la compétition internationale aiguë sur le terrain de l’aménagement des salaires et des conditions de travail, on s’engage assurément sur le chemin de la régression des avancées sociales.
D’ailleurs, la droite sénatoriale assume ce choix et, bien sûr, pousse la logique jusqu’au bout. D’après elle, pour demeurer compétitif dans une économie mondialisée, et non régulée, il faut faire sauter le verrou des 35 heures, donner davantage de pouvoir au chef d’entreprise en restreignant, dans un premier temps, puis en supprimant toutes les contraintes sociales.
Vous comprendrez, mes chers collègues, que ce n’est pas la dynamique que nous souhaitons suivre. Pour créer des emplois, nous croyons au partage du travail…et non à l’idée qu’il faudrait travailler plus pour rester compétitifs face à ceux qui travaillent déjà plus !
Pour atteindre un tel objectif, les accords de branche doivent, selon nous, être vivifiés et élargis à l’échelle européenne. Les conventions internationales ne doivent pas se fonder sur la libre circulation des capitaux et des marchandises : elles doivent, au contraire, être établies selon un principe de respect des droits sociaux et selon des règles fiscales communes. Vous me permettrez également d’évoquer des clauses environnementales, même si ce n’est pas l’objet du débat de ce jour.
Madame la ministre, vous nous avez assuré que vous aviez prévu des garanties pour les salariés. Comme j’ai eu l’occasion de le mentionner lors du débat, il s’agit de quelques garde-fous, vous permettant de ne pas aller aussi loin que la droite sénatoriale. Mais êtes-vous sûre que ces dispositifs seront maintenus en cas d’alternance politique ?
N’avez-vous pas pris le risque de l’isolement politique avec le 49.3 et de la division syndicale en voulant, à tout prix, faire céder une partie importante du mouvement syndical ?
Quel intérêt y a-t-il à imposer une loi contre une partie de la gauche, pour la remettre, clés en main, à une possible alternance politique, qui ne manquerait pas de la durcir vers davantage de flexibilité ?
Vous aurez ainsi affaibli le mouvement syndical pour une loi qui ne durera que le temps d’une campagne présidentielle !
Comme je l’ai répété au cours des derniers jours, l’alternative est claire : soit on se lance dans la dynamique de la flexibilité, sans véritables contreparties, et on n’en connaît pas le terme ; soit on considère que le modèle social français vaut la peine d’être maintenu, aménagé et élargi au niveau européen, vers des conventions internationales de coopération.
La mise en œuvre d’une loi Travail dans un objectif de dialogue social méritait une concertation accrue, un consensus avec le monde syndical.
Néanmoins, le texte initial comprenait un certain nombre d’avancées – et là je m’adresse plus particulièrement à cette partie de l’hémicycle, comme la garantie jeunes, qui a été supprimée, et le compte personnel d’activité, qui a été vidé de sa substance dans la version aujourd’hui présentée au vote.
La majorité sénatoriale a par ailleurs procédé à l’assouplissement des critères du licenciement pour motif économique et réintroduit le plafonnement des indemnités prud’homales. Ces deux points suscitent notre désapprobation, ainsi que celle d’une majorité des syndicats.
Ainsi, le projet de loi considéré comme adopté grâce au 49.3 à l’Assemblée nationale est devenu, au Sénat, un texte caricatural quant à la prise en compte des droits des salariés.
En conséquence, le groupe écologiste votera contre ce texte issu des travaux de notre assemblée.