Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, mes chers collègues,
Je tiens à commencer mon discours en soulignant la méthode déplorable du groupe UMP et du gouvernement, qui inscrivent une proposition de loi, puis la retirent aux trois quarts, la présentent quand même, en espérant que le gouvernement « prenne ses responsabilités », et présentent, au final, le texte sous forme d’amendement gouvernemental, pour ne pas s’exposer à l’article 40 de la Constitution.
Mais Roger Karoutchi, Dominique Braye et le gouvernement, par-delà cette méthode pour le moins brouillonne, sont tout de même d’accord sur le fond. Ils sont d’accord sur une chose qui rassemble la droite : exclure la gauche. La région Île-de-France, coupable d’être de gauche, a été totalement marginalisée. Elle n’a pas été consultée pour cette proposition de loi, et aucun de ses représentants ne trouve sa place au Conseil d’administration du nouvel EPIC prévu pour gérer le site.
Il faut dénoncer cette irresponsabilité politique qui consiste à évacuer des outils de gestion les échelons pertinents en raison de leur couleur politique. Le critère pour choisir ses partenaires n’est plus la pertinence de l’échelon politique à associer aux décisions, mais la couleur politique provisoire de l’exécutif régional. On retrouve là la même méthode qui a présidé à la décentralisation de Jean-Pierre Raffarin, où l’Etat organise des transferts de charge pour alléger la fiscalité nationale, mais sans transfert de ressources, pour forcer les élus locaux de gauche à augmenter la fiscalité locale.
S’il est souhaitable que les municipalités de Courbevoie et Puteaux participent (enfin !) aux charges en échange de la taxe professionnelle, après en avoir profité sans contrepartie pendant des décennies, il y a un problème de gouvernance. Il n’est pas normal qu’elles se retrouvent seules, en tête à tête avec le Conseil général dans le nouvel EPIC. Je me doute que les sarkozystes de Courbevoie, de Puteaux et du 92 aiment à se retrouver entre eux, mais ils ont d’autres occasions de le faire que lors des Conseils d’administration chargés de gérer la Défense.
A cause de cette mal-gouvernance, depuis quelques années, on sent bien que le dessaisissement de la région entrave les projets de planification cohérents, puisque la région est en porte-à-faux face à des projets OIN d’intérêt national, comme le plateau de Saclay, qui renforcent le déséquilibre vers l’Ouest, ou encore des projets autoroutiers dangereux pour l’environnement. Sans compter que le SDRIF piloté par la région ne dispose pas de pouvoir de contrainte suffisant aux collectivités territoriales.
Aucune vision régionale
Dans le cas présent, évacuer la région atteste d’une vision de l’aménagement territorial francilien étroite, égoïste, qui pousse à la spécialisation et à la compétition des territoires à outrance. Pourtant, la région Île-de-France s’est engagée dans un projet de long terme pour rééquilibrer l’Est et l’Ouest de l’agglomération.
De ce point de vue, le projet de renouveau de la Défense manque de cohérence, faute de concertation avec la région. Ayant annoncé haut et fort début août la rénovation de la Défense, le Gouvernement y a décidé la construction d’ici 2013 de 450 000 m² de bureaux supplémentaires sans agrément, sans se préoccuper ni du logement des futurs salariés concernés, ni de leurs conditions d’accès par les transports en commun. Comment les Hauts-de-Seine comptent-ils héberger autant de salariés ? On ne sait pas… Comme si seule comptait la concurrence mondiale entre grandes métropoles, sans se soucier de sujets aussi désuets que l’aménagement du territoire, l’équilibre Est-Ouest, ou l’équilibre entre bureaux, offre de logements et de transports.
La spécialisation de l’Ouest parisien, en effet, pose de graves problèmes, en particulier l’engorgement des transports et le manque de logements. Le rapporteur Dominique Braye l’admet d’ailleurs dans son rapport, puisqu’il rappelle que la ligne du RER A détient le record du plus fort trafic mondial, avec 1 million de passagers par jour ouvré. La Défense est déjà bien desservie en transports en commun. On peut essayer de la desservir encore mieux, en prolongeant la ligne E du RER, mais j’aimerais vous rappeler que d’autres zones de l’Île-de-France, moins riches, manquent cruellement de transports en commun, et que l’Etat se désengage, met des bâtons dans les roues en permanence à la région qui a lancé un plan d’investissement massif pour développer les transports en commun.
Exonération de la redevance sur les bureaux : l’effet d’aubaine
Le symbole le plus criant de votre vision inégalitaire de l’aménagement du territoire, c’est l’exonération de la redevance sur les bureaux reconstruits que vous avez fait passer à la fin de l’année dernière dans le projet de loi de finances rectificative.
L’exonération de la redevance pour création de bureaux dans le cadre de projets de démolition-reconstruction entraînera des pertes énormes pour la région IDF, sans contrepartie sociale ou environnementale qui justifierait un tel cadeau.
Cette exonération concernant des opérations de démolition-reconstruction impactera essentiellement la zone géographique de la Défense où sont prévues des opérations de modernisation de 150.000 m2. Or, jusqu’à nouvel ordre, la Défense n’est pas une zone franche, un paradis fiscal ou une Zone urbaine sensible. Les communes qui abritent ce quartier d’affaire, comme Puteaux ou Courbevoie, ne bénéficient pas de la Dotation de solidarité urbaine. Il ne s’agit pas franchement d’un territoire exsangue, aux abois, financièrement démuni, socialement délaissé…
On se demande pourquoi les propriétaires de ces bureaux, situés sur un territoire stratégique, ne pourraient pas payer une redevance dont le taux de 244 euros par mètre carré, payé une fois pour toute au moment de la construction, dont le niveau n’a pas été actualisé depuis 1989.
Un mélange des genres permanent
Cette exonération, ou plutôt ce dumping fiscal, ne servira que les projets du président de l’Etablissement public de la Défense (EPAD), du président du Conseil général des Hauts-de-Seine, du président de l’UMP, du ministre de l’Intérieur et d’un candidat à l’élection présidentielle, c’est-à-dire une seule et même personne. Quand une seule personne cumule tant de bureaux à tant d’endroits à la fois, on comprend qu’il lui prenne des envies d’exonération fiscale sur les bureaux à construire. Voilà quelqu’un de prévoyant…
Plus sérieusement, il est tout de même cocasse que ce soit le ministère de l’Intérieur qui ait présenté ce projet de relance de la Défense, « lors d’un CA exceptionnel de l’Etablissement public pour l’Aménagement de la Région de la Défense », le 25 juillet dernier, c’est-à-dire devant l’Etablissement public qu’il préside. Le conflit d’intérêt est ici tout à fait remarquable. Faudra-t-il ajouter sur la tête de notre présidentiable une nouvelle casquette, qui serait, en somme, une sorte de ministère de la Défense, si je puis dire, si cette dénomination n’était pas déjà accaparée par une autre ex-présidentiable… ?
Il faut donc sortir de cette personnalisation, assurer une gestion partagée de la Défense, entre les différents échelons, afin de parvenir à un développement équilibré de la région. Mes sous-amendements devraient permettre de favoriser le développement d’une offre de transports en commun, avec la participation de la Défense aux dépenses d’investissement, ainsi que la mise à disposition, autour de la Défense, d’une offre de logements sociaux permettant d’éviter les longs trajets domicile-travail. Je ne doute pas que vous les adopterez, puisque la lutte contre le réchauffement climatique et le mal-logement est désormais un consensus national !
Ce partage des pouvoirs et des financements devrait permettre de sortir la Défense de la zone d’exception dans laquelle elle se développe depuis 40 ans. En effet, tout le monde a en mémoire l’affaire des mètres carrés illégaux, dont la presse s’est fait l’écho il y a quelques mois, évoquant « la plus importante violation du code de l’urbanisme jamais constatée en France », à travers une fraude entre 1996 et 2000 ayant permis de réaliser illégalement des dizaines de milliers de mètres carrés de bureaux (Le Monde du 24 avril 2006).
Quand on voit les exonérations de redevance sur les bureaux ou les exonérations d’agrément pour la construction, le tout sous couvert d’intérêt national et de compétition mondiale, sans souci d’associer la région aux prises de décision, on peut craindre que ce ne soit pas la meilleure manière d’assainir la situation.