Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, mes chers collègues,
Ce projet de loi a pour ambition de s’inscrire dans la continuité gaulliste de la « participation », de la réconciliation entre capital et travail. A l’époque, le général de Gaulle espérait dépasser le capitalisme, trouver une voie entre le système marchand de l’Ouest et le communisme de l’Est. On ne peut pas honnêtement prétendre que la France gaulliste soit sortie d’un système capitaliste, mais on peut reconnaître à cette période, les Trente Glorieuses, un compromis, à défaut d’une réconciliation, entre capital et travail.
Aujourd’hui, on en est loin, notamment car les héritiers du Général ont tout mis en œuvre pour détruire les acquis sociaux de cette époque.
Les inégalités sont reparties à la hausse. Le rapport de force, avec l’affaiblissement des syndicats, s’est retourné en faveur des patrons, aidés en cela par la mondialisation qui met les salariés du monde en concurrence et par un chômage de masse durable qui fragilise les salariés et leurs représentants. La répartition des revenus attribués au capital et au travail a été bouleversée, et la rémunération du capital a pris 10 points à la rémunération du travail. La répartition des risques a suivi le même chemin, en faisant des salariés la variable d’ajustement des entreprises (intérim, contrats précaires, stages…).
Or, que propose ce projet de loi ? De continuer dans le même sens ! De continuer à donner plus, toujours plus, aux actionnaires, au détriment des salariés. L’astuce consiste à transformer les salariés en actionnaires, et donc à transférer une partie du risque assumé théoriquement par les actionnaires (qui sont grassement rémunérés justement pour cela) vers les salariés qui dépendront encore plus de leur employeur, pour leur emploi, leur salaire, leurs actions et leur retraite. Avec des pertes immenses à la clé en cas de faillite, comme dans le cas d’Enron aux Etats-Unis. Bref, les salariés deviennent pieds et poings liés à leur entreprise : un rêve pour le Medef !
L’actionnariat salarié avantage les actionnaires au détriment des salariés
Les actionnaires-salariés seront représentés au CA. D’accord, pourquoi pas ? On comprend que les dirigeants des grandes entreprises poussent en faveur de cette introduction de salariés-actionnaires, car ces derniers sont généralement aux mains des dirigeants, et votent comme eux. Mais les salariés non-actionnaires, c’est-à-dire la majorité ? Toujours rien pour eux. Comme d’habitude, la droite fait le choix idéologique des catégories les plus aisées de la société.
En privilégiant les actionnaires-salariés, vous désavantagez, en termes de rémunération et de visibilité les salariés non-actionnaires. Par ce biais, vous entérinez le principe capitaliste « 1 action = 1 voix », au détriment du principe démocratique « 1 personne = 1 voix ».
C’est pourquoi je proposerai, parmi mes amendements, de représenter les salariés en tant que tels dans les conseils d’administration des entreprises, avec voix délibérative et non pas uniquement consultative comme aujourd’hui. Les Verts demandent par ailleurs, depuis longtemps, que les représentants des consommateurs, des riverains et des défenseurs de l’environnement soient présents au sein des instances dirigeantes des entreprises.
En effet, au moment où, face à la crise de la démocratie représentative, on cherche des pistes pour démocratiser la démocratie, il est un lieu de pouvoir qui reste en dehors du questionnement démocratique : l’entreprise. Et plus largement l’économie.
Dans l’entreprise, le salarié est aux ordres d’une hiérarchie qui ne fonde sa légitimité sur rien d’autre que le pouvoir de l’argent : un titre de propriété se transforme en droit de vote. Le conseil d’administration d’une entreprise, souvent comparé à un Parlement, n’a rien de démocratique, même quand il accorde un strapontin aux représentants des salariés. Car le noyau dur du principe démocratique, incontestablement, est une exigence simple : « une personne = une voix ». En démocratie, logiquement, le pouvoir n’est pas à vendre. Pourquoi l’actionnaire, qui touche déjà les dividendes pour rémunérer son risque, devrait-il en plus jouir du pouvoir de décision absolu ? C’est le principe-clé du capitalisme que nous devons questionner. Car ce cumul des pouvoirs, qui correspond à la concentration du capital (75 % des PME sont des sous-traitantes des grands groupes) est un obstacle à la démocratie, comme le montrent les dynasties Bouygues, Lagardère ou même Dassault qui contrôlent des pans entiers de la politique, des médias et de l’industrie et sont même parfois chefs d’entreprise et rapporteur pour avis de projets de loi les concernant ! Avec, si l’on n’y prend pas garde, le modèle Berlusconi comme horizon.
L’actionnariat salarié avantage les hauts salaires au détriment des bas salaires
Du point de vue social, la participation aurait pour but de redistribuer les bénéfices de l’entreprise à ses salariés. Là encore, c’est un leurre. Qui bénéficie de l’actionnariat salarié et des dispositifs favorisés par ce projet de loi ? Les riches, les cadres, bref, ceux qui n’ont pas besoin que le législateur passe de longues heures à se pencher sur leur sort.
Comme d’habitude, elle tente de faire passer ce choix élitiste pour une préférence envers les classes moyennes. On a déjà connu ce procédé appliqué au logement, où des ménages touchant 7 000 euros par mois étaient avantagés au nom des « classes moyennes ».
Une étude de l’Insee sur les salaires en France a montré que ce sont les salariés aux rémunérations les plus élevées qui bénéficient en priorité des dispositifs d’épargne salariale. Parmi les bénéficiaires de l’épargne salariale, les 10 % les mieux servis ont reçu 40 % des sommes distribuées. L’inégalité est ici plus forte que pour les salaires, puisque les 10 % les mieux rémunérés perçoivent seulement 26 % de la masse salariale.
Dans le cas de l’intéressement, qui nous préoccupe aujourd’hui, pourquoi y a-t-il un tel engouement de la part des dirigeants d’entreprise et des cadres, alors qu’on ne constate pas un tel enthousiasme pour augmenter les salaires, qui stagnent depuis vingt ans ? Parce que l’intéressement n’est pas considéré comme une rémunération, et n’est donc pas assujetti au paiement des cotisations sociales et patronales, dans la limite d’un certain plafond. Les sommes versées sont déductibles de l’impôt sur les sociétés, exonérées de taxe sur les salaires, l’apprentissage, la formation continue, la construction. Les plans d’épargne d’entreprise, les obligations à bons de souscription, et autre épargne salariale sont plébiscités par chacun car ils se font au détriment de tous, en raison des multiples exonérations dont ils font l’objet. Mais qu’on ne vienne pas ensuite s’étonner du trou de la sécurité sociale, des déficits l’Unedic etc etc.
Evidemment, si on s’échine à miner de l’intérieur les ressources des systèmes de répartition, on en viendra tôt ou tard à adopter, contraints et forcés, des systèmes par capitalisation. On pourra alors dire adieu à la redistribution et à la gestion démocratique des systèmes de protection sociale, car les deux vont de pair.