M. DESESSARD. – (Applaudissements sur les bancs socialistes.)
M. Retailleau nous a proposé, pour faire des économies, de baisser de un degré la température au Sénat, je vous proposerai de baisser de un degré les prévisions du réchauffement climatique. Car pour les Verts, débattre de l’énergie, c’est aussi débattre des économies nécessaires pour éviter les émissions de gaz à effet de serre, des incitations fiscales encourageant les énergies renouvelables, de la promotion d’autres modes de production, de circulation et de consommation. M. le ministre de l’Économie, hautain, a ironisé sur ceux qui se croient encore au XXe siécle, les partisans passéistes du maintien des services publics, par opposition aux modernistes, zélateurs de la privatisation.
Mais qui donc se trompe de siècle, en ne comprenant pas les enjeux du XXIe siècle, qui sont environnementaux, démographiques et sociaux ? On pourrait s’attendre à plus de sagesse face à la raréfaction des énergies fossiles et à l’instabilité de leurs zones de production. Las, vous n’avez eu que cette phrase, que j’ai eu bien du mal à comprendre : « Quand on n’a pas de gaz ni de pétrole, il ne faut pas rester immobile ». Conseillez-vous là à ceux qui n’ont rien, de sortir faire le tour du pâté de maisons pour se réchauffer ? (Sourires.)
Ou bien faites-vous référence à la frénésie du ministre de l’Intérieur, qui, faute de solutions pérennes multiplie les lois, les tournées en province au rythme d’opérations coups de poing médiatiques et d’une agitation sans considération pour les jeunes, la banlieue ou la justice – et j’attends la suite, car l’automate est remonté !
Pour vous, agir, cela consiste à fusionner G.D.F. et Suez, alors que c’est plutôt là le laisser- faire, consistant à brader le service public, l’État se défaussant sur le marché pour régler les crises. Voici votre nouvelle définition de l’économie de marché : les actionnaires, les capitalistes et les fonds de pension ne recherchent plus le profit, mais le maintien du coût de l’énergie sous le prix du marché, la distribution équitable de l’énergie, la préservation des avantages sociaux des salariés du secteur, la conclusion de bons contrats avec les pays producteurs… On croît rêver !
Supposons qu’il y ait de tels actionnaires philanthropes, vous leur proposez un géant, avec la fusion Suez-G.D.F. Mais c’est plutôt un ogre que vous créez, énergétivore, à la démarche lourde et maladroite, soumis à des spasmes respiratoires chroniques. Énergétivore, car il lui faudra produire toujours plus d’énergie, alors que l’avenir est à la diminution, à la diversification ; sa démarche sera lourde, car l’ogre devra respecter des tarifs imposés par l’État, sans y être obligé, quand ses concurrents n’auront pas une telle contrainte ; sa respiration sera spasmodique, soumise aux aléas politiques des pays producteurs, aux diktats économiques des compagnies productrices, aux menaces d’O.P.A. venues des concurrents. M. le Ministre, professoral, nous a expliqué qu’avec 34 % l’État gardait le contrôle, et que lui-même, si pédagogue, se tenait à notre disposition pour nous expliquer le droit des sociétés. Heureusement qu’il n’est pas ministre de l’Éducation nationale, car nous n’en finirions pas de changer les manuels scolaires ! Car c’est avec la même assurance qu’on nous a expliqué qu’il fallait conserver 70 % de participation pour contrôler l’énergie, 51 % pour contrôler Aéroport de Paris… Aujourd’hui 34 % suffisent. C’est grotesque.
Certains nous expliquent qu’il y aurait d’autres solutions, mais que la fusion est rendue nécessaire par les directives européennes. Mais ces directives ne sont pas l’opération du Saint Esprit, elles ont été conclues par le patronat, les lobbies, et les gouvernements les ont validées. Or, le peuple français, en particulier le peuple de gauche, a rejeté, avec le traité constitutionnel européen, cette politique libérale. Cependant, nul compte n’est tenu de ce choix populaire.
L’Europe a pourtant un rôle majeur à jouer dans la lutte contre le réchauffement climatique. Elle pourrait étendre les services publics nationaux qui ont fait leur preuve à l’ensemble des pays européens, organiser la recherche dans les énergies renouvelables, réguler les marchés de l’énergie, en assurant des rapports durables avec les pays producteurs. La planète est fragile : le XXIe siècle sera celui des coopérations entre pays, de la solidarité internationale.
Vous l’aurez compris, nous voterons contre ce texte qui brade un service public de qualité, pour le remplacer par un monstre « énergétivore », impossible à contrôler, sans pouvoir d’action sur les producteurs. Vous abandonnez au marché la responsabilité du politique, comme si les capitaux privés allaient défendre l’intérêt des citoyens français et européens ! Nul doute que, dans quelques années, nous devrons prendre des mesures en urgence, que nous pourrions prendre aujourd’hui sereinement.
Ce texte ne sert pas une politique de l’énergie crédible et fiable, il manifeste un abandon du politique : nous nous y opposerons avec énergie ! (Vifs applaudissements à gauche.)