Monsieur le Président, monsieur le Ministre, mes chers collègues,
Nous voici donc à nouveau réunis pour étudier ce projet de loi « Engagement national pour le logement ». Il n’était déjà pas à la hauteur quand il est arrivé ici en novembre, mais après le débat à l’Assemblée, il est pire. Je ne reconnais à cette loi qu’un seul mérite, reconnaissons-le : elle vient après vingt ans d’inaction sur le logement.
Mais ça ne suffit pas à répondre aux attentes de logement de la population. Le chapitre 1 du rapport de la Fondation Abbé Pierre s’intitule d’ailleurs « Un engagement insuffisant pour répondre aux besoins en logement ».
Des logements, pour qui ? Vous privilégiez les propriétaires de logements. C’est la politique de la droite classique, qui baisse l’aide personnalisée au logement, et accorde des prêts à taux zéro à des ménages qui gagnent plus de 7 000 euros par mois. D’ailleurs, ce projet de loi « Engagement national pour le logement » s’appelait à l’origine « Propriété pour tous ». Mais est-ce que vous adressez aux gens qui n’ont pas les moyens de devenir propriétaires ? Est-ce que vous adressez aux personnes qui alternent contrats précaires et périodes de chômage, qui ne se voient proposer que des stages, des postes en intérim, des CDD, des CNE et bientôt peut-être des CPE ? Mais cela est un autre débat. Eux n’ont pas accès à l’emprunt. La France connaît une crise du logement, certes, mais, plus précisément une crise du logement locatif, et encore plus précisément une crise du logement social accessible.
Bref, que faire ? Des logements sociaux ! Des vrais. Pas seulement des logements pour les classes moyennes confortables, comme les PLS, qu’il faut enlever de la dénomination « logement social ». Je vous rappelle que l’article L 411 du code de la construction et de l’habitation indique que les « logements locatifs sociaux visent à améliorer les conditions d’habitat des personnes de ressources modestes ou défavorisées ». Et comme le dit le rapport de la Fondation Abbé Pierre, « la relance de la production se fait essentiellement au bénéfice des logements sociaux aux loyers les plus élevés, donc les moins sociaux ».
Lors du dernier budget, 300 millions d’euros sont partis en avantages fiscaux pour le dispositif Robien, sans condition de plafond de ressources, et 515 millions au nouveau prêt à taux zéro. Seulement 60 millions ont été alloués aux PLAI, dont le nombre stagne à moins de 8 000 par an, et ce alors qu’il y a de plus en plus de ménages à bas revenus : 21,3 % en 2002 contre 11,8 % en 1988…
Que fait-on aujourd’hui pour les logements des classes populaires ? On les démolit. Au nom de la mixité sociale. Cela revient à déloger les pauvres des quartiers populaires. Comme si la cause des problèmes sociaux était que les pauvres vivent entre eux. Au lieu de lutter en vain contre la concentration de la pauvreté, la vraie politique serait de lutter contre la pauvreté.
Notre mixité sociale consiste à construire des logements sociaux dans toutes les villes. La preuve de l’hypocrisie, ou de l’ambiguïté de l’UMP à propos de cette mixité sociale, c’est le démantèlement de l’article 55 de la loi SRU. Malgré les beaux discours incantatoires de Jacques Chirac, les parlementaires ont fait feu de tout bois.
A Poissy, à Argenteuil, à la Duchère, en ce moment, on démolit facile. Ces démolitions expiatoires ne visent qu’à cacher la misère. Car le 1 pour 1 (1 logement social construit pour un détruit) n’est pas respecté. L’observatoire des ZUS le reconnaît. Le programme quinquennal de l’ANRU validé en août dernier aggrave le déficit social puisque, pour 60 000 démolitions prévues, il ne prévoit que 57 000 constructions nouvelles !
L’haussmanisation de Paris, à la fin du 19è siècle, avait chassé les pauvres du centre-ville. Les classes populaires, frondeuses, avaient répondu. Est-ce que vous savez comment on avait appelé la Commune de Paris, en 1871 ? « La révolte des exilés ». Ce nom faisait référence à la rancœur, à la rage de ces ouvriers chassés du centre de Paris pour se réfugier dans les collines de Belleville, qui s’en étaient pris, l’espace de quelques mois, à la propriété des bourgeois.
Les émeutes de novembre 2005, Monsieur Borloo, ont été l’œuvre des nouveaux exilés, ceux qui sont relégués toujours plus loin du périphérique. Avec cette politique, vous voulez les rejeter encore plus loin. Pour que, en cas de colère, ils brûlent leur propre quartier, et ne viennent plus perturber les centres-villes.
Certes, toute destruction n’est pas à bannir. Mais seulement quand les habitants du quartier y sont associés et finissent par l’approuver.
Bref, aux riches vous garantissez des centres-villes hors de prix, débarrassés des sauvageons. Aux classes moyennes supérieures, vous promettez la petite couronne, le foncier pris sur les pauvres. Aux classes moyennes inférieures, vous faites miroiter d’illusoires maisons à 100 000 euros en grande périphérie, en leur mentant sur les charges et les traites, sur les coûts sociaux et environnementaux de ce mitage organisé. Aux pauvres, enfin, vous ne promettez que la destruction des lieux de vie, et l’oubli au loin, loin de la ville, loin des centres. Bref, qu’on ne voit plus ces minorités trop visibles.
Le résultat, c’est la relégation, mais c’est aussi le mitage, la périurbanisation, l’étalement urbain. L’étalement urbain a consommé 390 km2 d’espaces naturels et agricoles de 1982 à 2003 ce qui représente 4 fois la superficie de Paris. Avec tous les coûts écologiques qui en découlent.
Hélas, il n’y a rien sur les logements écologiques dans ce projet de loi. C’est pourquoi j’ai déposé des amendements pour favoriser le développement des logements qui économisent l’énergie. Monsieur Borloo, je les avais retirés en première lecture à votre demande, car vous aviez déclaré y être favorable sur le principe, mais vous vouliez les retravailler. J’espère donc que nous pourrons avancer ensemble sur ce sujet. Je propose par exemple de conditionner les aides publiques au respect de normes environnementales exigeantes, avec le label Haute performance énergétique, ou d’encourager fiscalement les logements sociaux économes en énergie. Car c’est au moment où l’on construit des logements qu’il faut songer aux conséquences sur l’effet de serre, et au respect du protocole de Kyoto. D’ailleurs, le coût des charges pour les locataires en serait fortement diminué. C’est donc une mesure sociale et écologique.
Car seule une écologie sociale serait à même de résoudre en même temps la crise du logement et la crise écologique. Au regard de cette loi, ce n’est pas la voie qui a été choisie.