Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, mes chers collègues,
Nous comptons 86 500 SDF selon la Fondation Abbé Pierre. Chiffre éloquent… Les loyers ont augmenté de 70 % en 7 ans, contre seulement 24 % pour les salaires. A Paris, les prix de vente ont augmenté de 100 % en 6 ans, et les prix de location de 60 % sur la même période. Les jugements d’expulsion continuent d’augmenter : ils ont progressé de 9 % entre 2003 entre 2004 et de 45 % au cours des 5 dernières années. Ces drames ne sont pas étonnants, quand on met en parallèle l’envolée des loyers, la diminution des APL et la baisse du pouvoir d’achat des salariés.
Malgré les grands discours, sur le long terme, nous assistons bien, en ce domaine, à un désengagement de l’Etat, et ce n’est pas imputable à votre seul gouvernement. Les dépenses publiques pour le logement, qui représentaient 2 % du PIB dans les années 1970, ne sont plus qu’à 1,6 %. Qu’en est-il de ce projet de loi « engagement national pour le logement » ? Ce titre, juste après de dramatiques incendies en septembre et dans un contexte d’explosion de certains quartiers populaires, est ambitieux. Les mesures sont-elles à la hauteur des annonces ?
Priorité au logement social
Hélas, j’ai bien peur qu’elles ne le soient pas. Il faut bien vous créditer d’une relance de la construction. Mais monsieur Borloo, si la crise du logement en France est une crise de pénurie de l’offre de logements en général, c’est aussi et surtout une crise du logement social. Les plus riches trouvent encore à se loger. Le foncier disponible existe, ce qui manque cruellement, c’est le foncier pour le logement social. On compte 1,3 millions de demandeurs de HLM. A Paris, sur 100 000 demandeurs de logement social, 70 % ont des ressources inférieures au plafond permettant d’accéder à un logement “ PLAI ”. Ce sont donc de vrais logements sociaux dont ont besoin ceux qui sont en difficulté.
En 2004 ont été construits 360 000 logements, certes, mais seulement 74 100 logements sociaux. Monsieur Borloo se félicite du renouveau de la construction, mais, en ce qui concerne les logements sociaux, on est loin du compte cette année : un objectif de 90 000 logements sociaux avait été fixé pour 2005, mais fin août, selon la fondation Abbé Pierre, les chiffres n’atteignaient que 13 500, soit 15 % de l’objectif.
Et encore, les chiffres de logements dits sociaux sont trompeurs. On a assisté à une augmentation fulgurante des constructions de PLS (classé logement social par la droite en 1995) : de 8 900 en 2001 ils sont passés à 20 600 en 2004. Sur la même période, les PLUS stagnent de 42 200 à 45 300. Et que dire des PLAI, qui plafonnent péniblement à 6 000 constructions par an ?
Permettez-moi de rappeler ce que devrait être un logement social. Voici les plafonds de ressources (pour un couple avec deux enfants) : PLA-I : 21 857 euros PLUS : 39 739 euros PLS : 51 661 euros.
Je vous rappelle que le revenu médian est de 23 396 euros. Les PLS ne sont donc pas des logements sociaux au sens strict du terme, puisque près de 80 % des ménages peuvent avoir accès à ce type de logements.
Compter le PLS parmi le logement social et le promouvoir à chaque fois comme vous le faites dans ce projet de loi, au détriment, implicitement, des autres types de logements vraiment sociaux, est non seulement anti-redistributif, ou pas suffisamment, mais également contraire à la loi, si les mots ont encore un sens.
Je vous rappelle le texte de loi : Article L411 (inséré par la Loi n° 98-657 du 29 juillet 1998 art. 55 Journal Officiel du 31 juillet 1998) : code de la construction et de l’habitat : « La construction, l’aménagement, l’attribution et la gestion des logements locatifs sociaux visent à améliorer les conditions d’habitat des personnes de ressources modestes ou défavorisées. » Si vous changez l’esprit de la loi, ayez au moins l’élégance d’en changer aussi la lettre, on y verra plus clair !
Construire avec les aides fiscales de l’Etat, c’était la méthode de Robien, ça ne marche pas, ou plutôt ça ne marche pas pour les plus pauvres. Pour les riches, ça marche très bien. Entre les riches et les pauvres, M. Borloo, quelle est votre priorité ? Le sens de nos amendements, c’est de favoriser le logement social pour les clases populaires et les classes moyennes. La droite aussi a souvent le mot classes moyennes en bouche, mais l’ennui c’est que chacun voit la classe moyenne à sa porte… En autorisant les prêts à taux zéro aux ménages qui gagnent jusqu’à 7 000 euros par mois, par exemple, vous montrez que vous êtes désespérément sourd à la réalité de la situation sociale de la grande majorité de la population. 7 000 euros par mois ! 50 000 francs ! Est-ce là le public que l’on doit cibler en priorité ? Vous prévoyez un nouveau dispositif fiscal visant à encourager les particuliers à acheter des logements pour les louer à des loyers plafonnés par l’Etat : le « Borloo populaire ». Les avantages fiscaux seraient assortis de contreparties sociales. Mais avec des loyers plafonnés aux trois quarts du prix du marché, soit, à Paris, plus de 15 euros le m², les nouveaux logements « Borloo » ne s’adresseront pas aux classes populaires, mais aux classes moyennes. Pour que le Borloo populaire ne profite pas qu’aux classes moyennes aisées, nous aurions préféré un « Borloo social » : une aide fiscale à la création, par des particuliers investisseurs, de logements accessibles aux plus pauvres, aux mal logés et aux sans-toit. Nous espérons que vous saurez rééquilibrer votre projet en acceptant ce « Borloo social ».
Construire en HQE
Pour aider à la construction, on voit quelques petites avancées, ici ou là dans cette loi bien maigre. Pour les logements sociaux, il faut chercher à la loupe. Pour un logement écologique, c’est encore plus simple : il n’y a rien. Ca ne vous intéresse donc pas, monsieur le ministre ? Que faites-vous pour promouvoir les logements HQE, seuls à même de contrecarrer la hausse des charges (et accessoirement la destruction de la planète, mais qui s’en soucie en-dehors des colloques internationaux ?) ? Que faites-vous pour limiter l’étalement urbain, qui coûte si cher aux collectivités, aux habitants et à l’effet de serre ? Sur les 198 000 maisons construites en 2003, plus de 152 000 l’ont été en secteur diffus, contre seulement 46 000 en lotissements (syndicat national des professionnels de l’aménagement et du territoire, cité par le rapport Braye-Repentin p.9). Et vous ne proposez rien sur le sujet. Monsieur le ministre, on a beau chercher, à part les économies de papier permises par la minceur de votre projet de loi, il n’y a rien d’écologiste dans ce texte.
Appliquer la loi SRU
Mais après tout, ce n’est pas illogique, vous n’êtes pas élu écologiste. En revanche, j’ai été très surpris de ne rien trouver à propos de l’application de la loi SRU. Alors que le principe d’une péréquation minimale est admis par tous, qu’il est soutenu par 85 % des Français (sondage CSA) qu’il a été solennellement rappelé par le président Jacques Chirac, rien n’apparaît dans ce projet. Je savais que vous n’étiez pas élu écologiste, je constate maintenant que vous n’êtes pas non plus chiraquien, donc. J’attire donc votre attention sur les amendements de l’opposition à ce sujet. Les Verts en particulier demandent une pénalité substantielle, de l’ordre de 1 500 euros par logement social manquant, qui seule pourrait être dissuasive. De plus, nous demandons que soit modifiée la loi dans un sens très simple : au lieu de dire qu’en cas de carence des maires le préfet peut se substituer à eux, il convient de dire, simplement, que le préfet se substitue à eux. Car cette « compétence » qui leur est offerte, ils ne l’exercent pas assez. Et pour cause : qui donne des ordres au préfet ? Nicolas Sarkozy, le même qui refuse obstinément d’ouvrir le ghetto de riches de Neuilly qui lui sert d’ancrage électoral. On ne peut pas demander l’application de la loi en banlieues pour des jeunes en désespérance sociale, prôner la tolérance zéro en donnant de la prison ferme à l’aveuglette, et laisser dans le même temps des maires (et ce sont les maires des communes les plus riches !) s’asseoir sur la solidarité nationale. L’examen de ces amendements sera pour tout le monde l’heure de vérité.
Rendre le droit au logement opposable
La création d’un droit au logement opposable, c’est-à-dire effectif, que l’on peut réclamer en justice, est un autre révélateur de votre bonne ou de votre mauvaise volonté. Je demanderai solennellement à notre assemblée de rendre le droit au logement opposable. Vu le manque d’ambition de ce projet de loi en l’état, je comprends que vous ayez peur de voir les mal-logés (86 000 SDF, 800 000 personnes privées de domicile personnel) demander en justice la réalisation d’un des droits humains les plus fondamentaux, sans lequel aucune insertion professionnelle, aucune vie familiale, aucune condition sanitaire, ne peuvent s’effectuer décemment. Si vous avez confiance dans votre politique, alors n’hésitez pas : acceptez, comme l’ont fait les parlementaires écossais, de rendre le droit au logement opposable. Mais si vous refusiez, quel aveu de faiblesse !
Le droit au logement opposable est réclamé depuis longtemps, par des associations aussi diverses que Emmaüs, l’Armée du Salut, ATD Quart Monde, les Restos du cœur, la Ligue des droits de l’homme, la confédération syndicale des familles, le Syndicat de la Magistrature ou le Secours catholique. Et sur ce sujet, l’hypocrisie du gouvernement et des rédacteurs de ce projet de loi est révoltante. Vous osez parler de « droit au logement opposable » dans votre exposé des motifs de l’article 9, mais pas dans le texte de loi ! On ne saurait mieux résumer la poudre aux yeux censée nous aveugler dans ce texte.
Il faut que l’opposabilité du droit au logement soit déclarée sans plus attendre et qu’un agenda précis de sa mise en œuvre sur l’ensemble des domaines que représentent le logement et la ville soit établi, pour qu’à terme, chacun puisse effectivement disposer d’un logement décent.
C’est cette démarche qui a été, et continue d’être entreprise pour l’école, puis l’accès aux soins. Il est temps pour notre société de rendre aujourd’hui le droit au logement opposable.
Il ne s’agit pas de désigner des boucs émissaires à la crise du logement, il s’agit de rappeler les responsables politiques à leurs responsabilités minimales : loger leurs administrés. Et donc de désigner ceux qui sont responsables de la concrétisation du droit au logement, en l’occurrence, in fine, l’Etat. Martin Hirsch disait, à propos de la sécurité alimentaire, qu’en matière de protection face aux risques, il faut toujours savoir qui dort mal la nuit, qui se sent comptable, qui a une obligation de résultats. Or, aujourd’hui, à propos de la crise du logement, qui dort mal la nuit, à part les SDF ?
Il convient donc de prévoir, à échéance de 2009, un mécanisme législatif permettant d’instituer l’opposabilité juridique du droit au logement tel qu’il a été défini par l’article 1er de la loi du 31 mai 1990 et qui n’est pas effectif. Des recours devraient pouvoir être introduits devant la juridiction administrative contre l’Etat ou une collectivité territoriale à laquelle l’Etat aurait délégué par convention la mise en œuvre du droit au logement.
Taxer les logements vacants
En attendant, pendant que le droit au logement reste un vœu pieu, le taux de vacance des logements se situe régulièrement autour de 7 % en France. Au bout de deux années de vacance consécutives, un logement est taxé à 10 % de sa valeur locative. Nous demandons de doubler cette taxe. C’est bien la moindre des choses. Comment peut-on imaginer que des logements puissent rester vides plusieurs années de suite (et non pas de manière passagère, le temps d’un déménagement), tandis que des SDF s’apprêtent cette année encore, à mourir de froid ? Il ne s’agit pas d’atteinte à la propriété privée, il s’agit de respect de la vie humaine.
Vous avez justifié la minceur de ce projet de loi par votre ouverture aux propositions des parlementaires. Sur les sujets clés que je viens d’évoquer, j’espère être écouté.