M. DESESSARD. – Il a été dit cet après-midi que le débat à l’Assemblée nationale avait enrichi le projet de loi. Va-t-il enrichir les petits agriculteurs, empêcher l’exode des paysans et permettre au monde rural de ne pas se désertifier ?
Dans un mois les négociations seront âpres au sein de l’O.M.C., à Hong Kong, pour déterminer le taux de libéralisation des échanges. Or nous sommes là pour discuter de la politique agricole de la France, au sein de l’Europe, pour les 15 prochaines années… Nous aborderons ces négociations non pas avec une vision claire et de grandes orientations mais avec un simple projet d’adaptation au compromis de Luxembourg !
Tout comme l’année dernière le projet de loi d’orientation sur l’énergie nous décevait par son refus d’engager des politiques audacieuses, aujourd’hui encore nous constatons la timidité de nos mesures.
Nous entérinons seulement les modifications de la P.A.C. de 2003. Alors que la P.A.C., pilier historique de la construction européenne, constitue désormais un casus belli au sein même des pays fondateurs, faut-il rappeler le vote massif des agriculteurs contre le traité constitutionnel européen au printemps dernier ? Le monde paysan a besoin d’être écouté et rassuré par des mesures à long terme face à la crise de certains secteurs, à l’entrée des nouveaux pays dans l’Europe, à la mondialisation, mais aussi aux crises sanitaires et aux innovations technologiques.
N’est-il pas temps de reconsidérer notre agriculture et de prendre le temps d’apporter des solutions respectueuses du travail des agriculteurs, de l’environnement et de la santé des populations ? En 2013, le budget de la P.A.C. sera revu à la baisse. Que ferons-nous alors ? Il est probable que nous serons obligés de refaire une loi d’adaptation.
Les accords de Luxembourg ont produit des mesures kafkaïennes. Le calcul et la mise en application des droits à paiement unique sont tellement compliqués que peu de gens semblent en maîtriser réellement toutes les subtilités, y compris au sein des directions départementales de l’agriculture et de la forêt. Il aurait fallu mettre en avant des politiques pour le maintien des productions agricoles de proximité et de prix agricoles rémunérateurs, un soutien plus affirmé à l’agriculture biologique et les aides aux zones défavorisées et de montagne.
Sur la question du fonds agricole, qu’il soit optionnel ou pas, il ne s’agit pas tant de savoir si une exploitation peut ou doit se transformer en entreprise, pour survivre à la conjoncture actuelle, mais plutôt de déterminer quelle agriculture nous souhaitons, en France et en Europe, pour les vingt prochaines années. De nombreuses exploitations céréalières sont déjà d’ailleurs des « E.A.R.L. » ou autres sociétés à responsabilité limitée, que va leur apporter le nouveau droit ?
Vous ne proposez que fuite en avant, standardisation et homogénéisation, alors qu’il faudrait s’appuyer sur la mosaïque de l’agriculture française dont les potentialités et les initiatives gagneraient à être valorisées.
Prenons l’exemple des biocarburants et des agrocarburants. Les Verts ne peuvent qu’approuver la manière dont la préservation de l’environnement, et le soutien aux biocarburants sont inscrits dans ce projet de loi. Cependant, au lieu de propositions dynamiques, nous voyons des mesures d’adaptation prudentes. L’accent est mis simplement sur l’aspect économique des biocarburants, pas sur leur nécessité de respecter le protocole de Kyoto. (M. Courteau approuve.)
Du reste, le soutien aux biocarburants est réalisé sans discernement. Aucun cahier des charges n’est réclamé et les biocarburants ne sont pas dissociés des agrocarburants, issus de l’agriculture intensive et nuisible à l’environnement !
De leur côté, les huiles végétales pures, dont l’écobilan est positif, sont mises sous cloches et ce texte en limite sérieusement le développement. Rien n’est fait non plus pour inclure dans la recherche des fabricants automobiles l’adaptation des injecteurs et des carburateurs aux huiles végétales.
Ainsi, le soutien aux agrocarburants et leur essor profiteront-ils peut-être aux agriculteurs, mais surtout aux lobbies agricoles et aux grandes firmes pétrolières. Agro et biocarburants deviennent plus rentables que le pétrole. Profitons-en pour accélérer la recherche dans ce domaine !
Pourquoi ne pas promouvoir la méthanisation des déchets végétaux et fumiers, alors que les systèmes sont techniquement au point et que cela évite au méthane de s’échapper dans l’atmosphère ?
L’avenir des territoires ruraux n’est pas dans une mondialisation qui laisserait ses acteurs sur le carreau. Leur redynamisation va de pair avec la préservation de l’environnement, la prise en compte de la pluriactivité et de la multifonctionnalité de l’agriculture, mais aussi dans la mise en place de circuits courts. Cette volonté d’autosuffisance alimentaire n’est pas un idéal d’autarcie dépassé mais une mesure de bon sens !
Les circuits courts permettent des économies d’énergie par la réduction considérable des transports. Quant aux huiles végétales pures, elles créent des échanges entre agriculteurs, apportent un complément de revenu, favorisent les services publics dans des régions où les stations services sont très espacées et où les collectivités locales recherchent des moyens économes et écologiques pour maintenir le car scolaire ou la camionnette de La Poste.
Je suis surpris de lire dans ce projet de loi que les produits phytopharmaceutiques peuvent contenir des O.G.M. ! À l’heure actuelle, les animaux d’élevage sont nourris de tourteaux de soja du Brésil ou d’Argentine, à base d’O.G.M., alors que le débat est loin d’être tranché en France et que les consommateurs y sont hostiles ! Le développement de la production d’huiles végétales pures, à la ferme, aurait permis de produire sur place des tourteaux sans O.G.M., susceptibles d’apporter un complément de revenu aux agriculteurs…
L’agriculture produit également des paysages, qui évoluent depuis des millénaires. Cessons de considérer qu’un espace non urbanisé est un espace vierge en voie d’urbanisation ! Nous protégeons nos forêts, mais n’oublions pas les champs et les vergers.
L’agriculture, c’est aussi la sauvegarde de l’environnement, le maintien des sols, la préservation de la biodiversité. Celle-ci n’est pas un luxe abstrait mais un pilier de la protection de notre milieu naturel et de la sécurité sanitaire. Après les ravages causés par la vache folle dans le cheptel des Prim Hollstrein, la grippe aviaire risque de se propager pour des raisons de standardisation du capital génétique. La variété des espèces est une véritable barrière en cas de pandémie. Or ce projet de loi propose la certification des semences pour les ruminants. Nous allions pourtant dans le sens d’un retour à la diversité des races avec la réhabilitation, in extremis, du baudet du Poitou ou de la pie noire bretonne…
Qualité gustative et qualité sanitaire devraient aller de pair, mais trop souvent on affiche un souci hygiéniste : en oubliant les produits toxiques dont sont remplies les cuves des pulvérisateurs agricoles !
Les consommateurs et leurs associations sont trop souvent oubliés dans les organismes consultatifs, comme le respect de l’environnement et la protection animale dans les processus de labellisation… Où sont les projets pour une agriculture raisonnée, réduisant les intrants, redynamisant les territoires ? Quelles sont les perspectives en matière de recherche pour une agriculture intelligente ? Rien dans cette loi ne traite de la culture du maïs, extrêmement consommatrice en eau. Faut-il l’exploiter différemment, en arrêter la culture, l’associer à d’autres ?
Ce projet de loi se contente d’adapter le monde agricole à la libéralisation des échanges, à la recherche du prix minimum. Ce n’est pas ce que souhaitent les consommateurs, les agriculteurs et les Verts. Productrice d’énergie verte, source d’échanges et d’emplois dans le monde rural, l’agriculture moderne sera écologique et sociale ou ne sera pas. Ce n’est pas dans cette direction que va cette loi agricole… sans orientations. (Applaudissements à gauche.)