Monsieur le Président,
Monsieur le Ministre,
Mes chers collègues,
Mon intervention s’inscrit dans la même ligne que celle de Daniel Reiner, orateur du groupe PS auquel nous sommes rattachés. En effet, les Sénatrices et Sénateurs Verts ne comprennent pas l’opportunité de ce projet de loi qui change le statut d’Aéroport de Paris en Société Anonyme.
Nous avons entendu trois types d’arguments sur la diversification :
Le premier argument qui est mis en avant pour justifier ce changement de statut est la nécessité pour ADP de pouvoir exercer ses activités hors du cadre national et au-delà de sa fonction première qui est d’aménager et de gérer les aéroports d’Ile-de-France.
Monsieur le Ministre il faut préciser :
- Soit ADP était dans le cadre de la loi, avec la création de trois filiales (ADP – Management, ADP – Ingénierie, ADP – Télécom) et la diversification de ses activités, et on est alors en droit de s’interroger sur l’urgence à transformer ADP en SA, compte-tenu de la bonne santé économique et commerciale d’ADP.
- Soit ADP n’était pas dans le cadre légal. Lorsqu’il y a eu création des trois filiales, et lorsque ces filiales ont effectué des travaux à l’étranger, et ont participé entre autres à la construction de l’Opéra de Pékin !
Si ADP dans son statut d’Etablissement Public a pu outrepasser le droit, nous pouvons légitimement nous interroger sur la fiabilité de l’arsenal juridique proposé dans cette loi et des garde-fous proposés aujourd’hui.
- Soit ADP se situait à la limite du droit, et à ce moment-là il pouvait être effectivement nécessaire de légiférer pour clarifier. Mais pourquoi avoir si rapidement balayé l’éventualité d’attribuer à ADP un statut d’Etablissement Public à Vocation Economique International qui lui aurait permis de régulariser sa situation juridique ?
Cela aurait accompagné ll’activité des cadres de l’entreprise qui ont voulu promouvoir à l’étranger un savoir-faire hautement qualifié, et qui l’ont utilisé pour des missions de leur compétence.
Réfutation du deuxième argument sur les contraintes européennes :
Le deuxième argument avancé pour étayer ce projet de loi s’appuie sur les contraintes européennes.
A ce sujet, comme l’a déjà souligné M. Reiner, de nombreux aéroports européens ont conservé un statut comparable à celui d’ADP aujourd’hui.
Mais surtout, pourquoi vouloir à tout prix anticiper une situation dont les règles ne sont pas encore clairement définies ? Ainsi, au niveau Européen, il se pourrait qu’un jour, peut-être, de nouvelles directives soient promulguées, interdisant qu’au sein d’un secteur concurrentiel, un Etat soit majoritaire dans une société anonyme.
Cet argument repose pour le moins sur du flou ! Tant que les directives européennes n’ont pas clairement défini le rôle de l’Etat par rapport aux activités aéroportuaires il est prématuré de vouloir en tenir compte sans en connaître les modalités exactes !
Réfutation du troisième argument sur l’appel de capitaux pour l’investissement :
Le troisième argument avancé est d’ordre financier.
C’est un argument a priori recevable si l’on considère qu’il y a un investissement à réaliser pour l’installation de nouveaux terminaux. Mais cela relève alors du choix politique.
Vous nous faites part des difficultés actuelles du Gouvernement à pouvoir investir pour s’adapter aux besoins du transport aérien. Si tel est le cas, nous avons du mal à comprendre la logique d’une baisse des impôts pour les plus fortunés de notre pays qui prive le Gouvernement de recettes fiscales importantes. Il nous aurait semblé plus cohérent d’amorcer une démarche à tous les niveaux de la société en demandant les mêmes efforts à tous.
Bien au contraire, nous avons l’impression que le Gouvernement renoue avec la même démarche libérale : privatisons les entreprises publiques qui fonctionnent bien, qui secrètent des excédents, et nationalisons les entreprises en déficit. C’est une logique pseudo-libérale, puisqu’il s’agit de privatiser les profits au bénéfice de quelques – uns et de socialiser les pertes et les déficits au détriment des contribuables.
Bref, même si l’Etat peut connaître des difficultés de trésorerie qui ne lui permettent pas d’investir dans ADP, il n’en demeure pas moins que la bonne gestion financière d’ADP, dont les prévisions sont en expansion, lui aurait permis d’envisager sans trop de craintes le recours à l’emprunt. Vous me direz que ce recours à un coût, celui des charges financières, mais la rémunération des actionnaires de la SA aura lui aussi un coût.
Nous préférons que l’Etat participe aux investissements nécessaires pour ADP.
Opposition au transfert de domanialité
Dans un quatrième temps, je souhaiterais revenir sur le transfert de domanialité. Nous sommes surpris, Monsieur le Ministre.
En fait, nous ne comprenons pas pourquoi l’Etat ne reste pas propriétaire des terrains ! Dans l’optique où ADP deviendrait une SA, il ne serait pas incongru d’envisager une licence d’exploitation attribuée à ADP où l’Etat resterait propriétaire des terrains.
Quelle est la genèse de cette étrange proposition ? Tout découle du fait que l’Etat a demandé au président d’ADP d’établir lui-même un plan de changement du statut ! Le texte du projet ayant été conçu par le président d’ADP, il est bien évident que celui-ci ne s’est rien refusé et qu’il a préféré un transfert de propriété au profit de la future SA.
Quelle en est la nécessité ? A très court terme, si l’on part du principe qu’il a été envisagé d’ouvrir en priorité le capital à des collectivités territoriales comme la région Ile-de-France, les départements franciliens, les Cies aériennes utilisatrices, il semble évident que ce n’est pas le transfert du foncier qui motivera leur décision.
Par contre, si c’est effectivement un appel à des sociétés privées capitalistiques qui est envisagé, on comprend parfaitement quel serait pour elles l’intérêt d’un transfert du foncier à la nouvelle SA !
Nous ne comprenons pas que l’Etat, responsable de l’aménagement du territoire, des missions de service public, du statut du personnel, se mette dans une position aussi périlleuse. En cas de situation économique difficile, M. Reiner l’a parfaitement démontré, l’Etat peut se retrouver brusquement minoritaire ! Or la seule et unique garantie de garder le contrôle de cette infrastructure est de conserver la propriété du foncier.
Dans ce projet de loi, et dans la mesure où nous sommes déjà opposés au changement de statut, la perte du foncier nous semble encore plus inquiétante pour le service public.
Mission de service public
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues, les différents arguments pour procéder à un changement de statut d’ADP ne nous ont pas convaincus !
La seule remarque qui mérite notre attention est effectivement de donner la possibilité à une entreprise qui a un grand savoir-faire et des compétences, de pouvoir les exercer de façon diversifiée et à l’échelon international puisqu’on sait très bien que ces compétences ne peuvent s’exercer de façon régulière et permanente sur le seul secteur des aéroports franciliens. Mais pour cela, comme nous vous l’avons dit, nous aurions préféré un amendement législatif pour un Etablissement Public à Vocation Economique.
Par contre, la grande faille dans ce projet aux yeux des Verts est de considérer qu’ADP n’a de responsabilité que par rapport au développement de son activité aéroportuaire.
Je ne reviendrai pas sur les missions de service public que rend un aéroport, M. Reiner les a clairement expliquées. Mais je voudrais insister sur trois points :
- Premièrement : il n’est pas possible de concevoir l’activité d’un aéroport sur le seul thème de son efficacité commerciale. S’il est évident qu’il doit répondre au besoin premier de faciliter le transport des passagers et des marchandises, le trafic doit être conçu en fonction des objectifs politiques de l’aménagement du territoire, ce qui signifie que le rôle de l’Etat est essentiel !
- Deuxièmement : nous devons à la fois équilibrer ce qui doit obligatoirement être du trafic aérien et ce qui peut être effectivement traité par d’autres moyens de transport plus écologiques et moins coûteux, en particulier le ferroviaire. C’est le rôle de l’Etat de ne pas multiplier les liaisons aériennes et d’éviter de vaines concurrences entre le rail et l’avion.
La recherche de la rentabilité maximum peut conduire sous motif de bonne gestion à multiplier les offres au détriment d’autres moyens de transport plus écologiques et bien souvent… plus rationnels !
- Troisièmement : dans le cadre de l’aménagement du territoire il convient que ce soit la mission de l’Etat de décider de la répartition du trafic entre les grands aéroports nationaux. S’engager dans une politique d’amplification du trafic à Roissy peut être dommageable à la mise en place de lignes internationales sur les grands aéroports régionaux. Mettre les différents aéroports en situation de concurrence, au lieu de choisir la voie d’un aménagement concerté, multiplie les nuisances aériennes pour les riverains de Roissy et d’Orly. Souhaitons-nous que la rentabilité économique d’ADP les amène à toujours plus de trafic au détriment des populations riveraines d’Ile-de-France (au minimum 5 départements : le Val d’Oise, la Seine-Saint-Denis, la Seine-et-Marne, le Val de Marne et l’Essonne.
Sur la compétitivité
De même il est argumenté que Roissy doit être compétitif par rapport aux autres grands aéroports d’Europe.
Cela amène deux réflexions :
- Tout d’abord, vouloir augmenter le trafic d’un aéroport parisien et assumer à ce titre la compétition avec d’autres, c’est peut-être rentable à court terme mais promet à long terme de multiples nuisances. Cela nécessitera de nouvelles infrastructures routières et des aménagements collatéraux qui coûteront cher. Cela portera atteinte à l’environnement et à la qualité de vie. Ces aménagements ne rentreront pas directement dans le calcul du prix du transport aérien. Peut-on parler de rentabilité pour la Collectivité ?
- Ensuite, nous pouvons penser que l’aménagement du territoire ne se limite pas à une concertation à l’échelon national mais que le Parlement européen, la Commission européenne, se doivent d’élaborer un schéma directeur aéronautique et aéroportuaire au niveau de l’Europe dans son ensemble. L’Europe doit se construire avec une volonté politique commune, en particulier dans le domaine de l’aménagement des territoires entre les grandes métropoles européennes.
Conclusion
Vous l’aurez compris, la transformation d’ADP et des aéroports régionaux en SA nous inquiète…
Car si le seul critère valable reste le développement économique de chaque structure indépendamment de ses responsabilités vis-à-vis de la Collectivité, nous aboutirons à une concurrence qui sera fatale au développement harmonieux du territoire. Certaines collectivités ne pourront plus financer leurs infrastructures d’autant qu’il n’est pas tenu compte dans les prévisionnels de l’augmentation inéluctable du baril de pétrole.
Pour toutes ces raisons, les Verts sont opposés au changement de statut d’ADP.
Enfin, pour conclure cette première prise de parole devant la Haute Assemblée, je souhaite féliciter les membres de la commission des affaires économiques, son président et son rapporteur, pour l’excellent climat qui a présidé à nos travaux.
Monsieur le Président, Monsieur le Ministre, Mes chers collègues, je vous remercie.