Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,
Je qualifierais ce projet de loi de démagogique, inefficace, et vaniteux.
- Ce projet de loi est démagogique
Je dois m’en référer aux promesses du candidat Nicolas Sarkozy, qui promettait aux électeurs la garantie, pendant les jours de grève dans les transports, de plages de 3 heures de service le matin et 3 heures l’après-midi, par la réquisition des grévistes.
Selon le sénateur UMP Christian Cambon, qui s’exprimait devant la Commission, « l’exigence d’un service minimum de trois heures le matin et trois heures le soir nécessitait en réalité la présence de 100 % des personnels ». M. Cambon lui-même a donc « estimé qu’une telle disposition pourrait porter une atteinte essentielle au droit de grève ». C’est pourquoi ce projet de loi ne prévoit pas la réquisition des grévistes promise. On ne peut que se féliciter de ce retour à la raison, mais on ne peut plus parler de service minimum. Certes, Nicolas Sarkozy revient en arrière, mais ce texte comporte encore certaines dispositions qui pourraient porter atteinte au droit de grève comme la consultation des salariés après 8 jours de grève et surtout le préavis individuel 48 heures à l’avance, au nom de la prévisibilité du trafic.
Prenons l’exemple du préavis individuel 48 heures à l’avance, si toutefois le Conseil constitutionnel ne déclare pas cette disposition anticonstitutionnelle. En effet, les salariés qui ont déclaré leur intention de faire grève ne sont pas obligés de la faire s’ils ont obtenu satisfaction entre temps. A l’inverse, des salariés qui n’avaient pas l’invention de faire grève, au vu de l’évolution du conflit, de l’attitude de la direction, peuvent très bien décider de se joindre au mouvement. Et dans ce cas la prévisibilité 48 heures à l’avance est quasi-nulle. Car la loi ne peut pas imposer à ceux qui auraient déclaré faire grève de la faire obligatoirement. De la même manière, elle ne peut pas empêcher ceux qui n’auraient pas annoncé leur intention de faire grève, de ne pas la faire.
Je ne reviendrai pas sur la mesure démagogique de paiement des jours de grève. Cela ne concerne que quelques cas. La majorité des jours de grève ne sont pas payés. Mais, lorsqu’ils sont payés, lorsque nous avons auditionné les chefs d’entreprise de transport, ils ont bien affirmé qu’à la fin du conflit, les salariés devaient pouvoir effectuer correctement leur travail, et on sait les difficultés financières des grèves longues pour les salariés. Et eux-mêmes souhaitent des mesures pour assurer un retour à la normale. Donc, de fait, cette mesure de paiement des jours de grève était destinée à faciliter un retour aux transports à la fin de la grève. Et donc, au nom même de cette idéologie « Ah vous allez faire grève et bien payez maintenant », on peut empêcher un retour à la normale à l’issue du conflit. C’est paradoxale qu’une loi pour la continuité des transports crée elle-même les conditions du dysfonctionnement.
- Ce projet de loi est inefficace
Fondamentalement, ce projet de loi n’améliorera pas l’accès aux transports, parce qu’il se trompe de problème. En effet, il y a de moins en moins de grèves, grâce aux procédures de concertation préalable actuelles, à la SNCF et à la RATP. Par exemple, depuis l’accord-cadre à la RATP, qui donne satisfaction aux salariés et à la direction, le nombre de jours de grèves a diminué de 90 %.
Comme cela a été souligné aussi bien par les dirigeants de la RATP et la SNCF que par les syndicats, cela fonctionne. Alors pourquoi changer ce qui fonctionne ? Comme l’admet la rapporteure Catherine Procaccia elle-même, « M. Pierre Mongin, président-directeur général de la RATP, a parlé d’« entreprise aujourd’hui apaisée », faisant valoir un taux de conflictualité de seulement 0,4 jour de grève par agent et par an (…). Il a ajouté que le nombre de préavis de grève était passé de 800 par an dans les années quatre-vingt à environ 160 par an en 2006 ». Pour la SNCF, Anne-Marie Idrac a souligné qu’en 2006 le nombre de journées perdues par agent avait été inférieur à 0,8. De son côté, le secrétaire général de la Fédération nationale des transporteurs de voyageurs Serge Nossovitch a reconnu « l’extrême rareté des conflits sociaux dans le domaine des transports interurbains ». Et même quand il y a grève, il n’y a que rarement paralysie totale. A la SNCF, d’après Mme Idrac, « les trafics ont été assurés, lors des conflits de 2005, à hauteur d’environ 50 % en Île-de-France et entre 33 et 50 % pour les TER ».
Un projet de loi pour un jour de grève par an et par salarié, est-ce que ça mérite réellement un passage en urgence ? D’autant plus que de nombreuses grèves ne pourront pas être empêchées par une procédure de dialogue social, soit parce qu’elles sont liées à une actualité sociale nationale, comme le CPE, soit parce qu’elles sont dites « émotives », après l’agression d’un employé. Et à ce moment-là, on pourra dire tout ce que l’on veut, les gens qui ont été véhiculés le matin ne le seront pas le soir, et ce projet de loi n’y changera rien.
Un article de loi prévoit un plan d’urgence pour définir les lignes prioritaires. Je vois mal comment cela peut se mettre en place en région parisienne. Déjà que les correspondances font l’objet de nombreux arbitrages, alors comment négocier un plan de dépannage avec 50 % de grévistes ? Certains parlent de déplacer le personnel d’une ligne à l’autre, de remplacer des rames simples par des rames à deux étages les jours de grève, si vous croyez que c’est facile, j’aimerais voir à l’œuvre ceux qui ont l’habitude de jouer au chemin de fer dans leur salon avec leurs enfants. La complexité du réseau aujourd’hui ne permet pas une telle réactivité.
Et à ce propos, ma collègue Bariza Khiari, sénatrice socialiste de Paris et moi-même, sénateur Vert de Paris, nous inscrivons en faux contre les déclarations de M. Dominati, qui souhaite un service maximum des transports diversifiés à Paris. Or, le maire de Paris Bertrand Delanoë et son adjoint aux transports Denis Baupin tendent vers ce service maximum, avec le tramway, le métro, le bus, les circulations douces, et désormais le vélo. Nous sommes en bonne voie à Paris.
- Ce projet de loi est vaniteux
Bien sûr, je reconnais les problèmes causés par la grève, les retards, les annulations de trains, les dérangements. J’en sais quelque chose, j’utilise les transports en commun régulièrement.
Mais à l’inverse, pourrons-nous supporter encore longtemps et avons-nous réellement les moyens d’assumer cette société d’aujourd’hui qui n’accepte plus la moindre frustration, la moindre difficulté, qui ne tolère plus le moindre bug, et où le moindre aléa plante l’ensemble du système ? Cette société de la tolérance zéro, du risque zéro, de l’erreur zéro, de la panne zéro, de la grève zéro…du tout consommer tout de suite, sans délai. Aucune marge, aucun espace, aucune respiration. C’est terrifiant. Peut-on encore parler de liberté dans un tel système ?
Et avons-nous réellement les moyens de maîtriser cela ?
Si vous me permettez une petite digression, il est tout de même paradoxal qu’à cette exigence irréaliste et effrayante de perfection, ne réponde pas l’ambition souhaitable et souhaitée d’une empreinte écologique zéro, d’un chômage zéro, de SDF zéro, d’injustice et d’inégalité zéro, de discrimination zéro…etc
Ne vaudrait-il pas mieux par exemple remettre du personnel, pour éviter des situations comme celle que l’on a connue il y a quelques jours, avec des salariés toute une nuit sur un quai de gare, sans qu’aucun employé ne vienne les voir ?
- Un autre projet de société
Alors, monsieur le ministre, que faire ? Je crois que c’est en changeant de direction et de politique, en ayant un autre projet de société, une autre mentalité. Je refuse la politique des flux tendus. Dans les transports, mais pas seulement. Un retard d’une heure ne doit plus faire stresser le salarié comme s’il mettait l’entreprise en faillite. Les salariés, les citoyens, ne peuvent pas être en état de stress permanent. Il faudra vivre avec les aléas. La société doit pouvoir surmonter les grains de sables. Il faut en finir avec cette vision d’une société ordonnée et parfaite.