M. DESESSARD. – Une évidence s’impose : la planète va mal, elle va même de plus en plus mal. Du tsunami à Katrina, ce qui était encore il y a quelques années une hypothèse scientifique est maintenant une certitude : le climat se dérègle, la nature s’emballe. Sous l’action de l’homme, des espèces disparaissent. La planète est en danger et plus personne ne nie cette évidence. Le diagnostic ainsi posé, quelles sont les réactions des politiques ? Le Sommet de la terre à Rio, en 1992, a marqué la prise de conscience internationale face aux dérèglements climatiques. Les États les plus riches, responsables des émissions les plus importantes et pour lesquels une baisse de croissance semblait plus supportable se sont engagés à stabiliser leurs émissions de gaz à effet de serre. Le Protocole de Kyoto, en 1997, a traduit cet engagement en fixant pour objectif la réduction de 5,5 % de leurs émissions en 2012 par rapport au niveau de 1990. En 2004, le plan Climat a défini huit grandes orientations parmi lesquelles la sensibilisation du public, la promotion du transport propre et de la construction H.Q.E. et le développement des énergies renouvelables. La charte de l’environnement du 1er mars 2005, adossée à la Constitution, est venue compléter ces engagements. Nous examinons la mission écologie et développement durable un samedi soir : n’y voyez- vous pas tout un symbole, madame la Ministre ? La loi de finances doit tenir compte de la charte de l’environnement, puisque les politiques publiques doivent « promouvoir un développement durable ». C’est une obligation constitutionnelle ! Certes, M. Chirac prononce des discours fracassants lors des sommets mondiaux tandis que M. Sarkozy estime qu’il suffira d’une ou deux générations pour régler les problèmes environnementaux en France. J’ai donc attentivement examiné les projets de loi que nous votons et je m’étonne du décalage entre les déclarations d’intention et la réalité législative : projet de loi sur l’eau, sur l’énergie, loi agricole, loi sur le logement… tous ces textes se suivent et se ressemblent, hélas ! aucune mesure environnementale ! Cette loi de finances ne déroge pas à la règle ! Comme l’ont déjà dit certains de mes collègues, la L.O.L.F. qui devait éclaircir les choses est en fait particulièrement confuse. La protection de l’environnement et la promotion du développement durable sont des politiques transversales. Par conséquent, les mesures les concernant se retrouvent éparpillées, sans compter que les affectations de certaines taxes sont particulièrement obscures. Quant aux crédits alloués à l’environnement, il ne faut pas les chercher dans la seule mission écologie et développement durable, mais aussi dans la mission recherche, sans oublier les ressources propres des établissements publics. À tout cela s’ajoute un montant de 27 milliards, impossible à vérifier, qui serait dépensé par les collectivités locales pour la gestion des ressources naturelles. C’est plus que le budget que l’État consacre à l’environnement. Le budget 2006 accorde à la mission écologie et développement durable 616 millions, 896 millions si l’on y ajoute les crédits de la mission recherche. C’est la troisième année de baisse consécutive. En 2005 les crédits atteignaient 791 millions. La baisse est donc de 2 %. À croire que tout va pour le mieux ! Comment ne pas relever la disproportion colossale avec le budget pharaonique de la défense : 36 milliards. Les plafonds d’autorisation d’emploi en équivalent temps plein travaillé sont tout aussi éloquents. Avec 3 717 emplois, l’environnement est le moins bien loti ; très loin derrière l’outre-mer, la jeunesse et sport ou les services du Premier ministre. Sans parler des 440 000 emplois de la défense… Les crédits aux associations chutent encore de 20 %, après une baisse de 10 % en 2005. En France les associations ne sont pas prises au sérieux alors que leur travail de veille sur le terrain, de recherche, de sensibilisation est fondamental. L’affectation de taxes diverses à l’ADEME, au Conservatoire du littoral ou à l’Office national de la chasse et de la faune sauvage manque de clarté. Dans le programme prévention des risques et lutte contre les pollutions, je constate une baisse de 40 % des crédits de l’action prévention des risques technologiques et des pollutions, et de 78 % pour l’action gestion des déchets et évaluation des produits… De même, malgré le plan de renforcement des effectifs de contrôle des installations classées, 46 équivalents temps plein travaillé sont prévus contre 50 emplois budgétaires l’an dernier. Quand je pense à l’amiante, à A.Z.F., à la récente pollution au benzène en Chine du Nord, je suis pour le moins surpris ! Nous ne sommes pas à l’abri, nous ne sommes pas infaillibles, et la science découvre progressivement les dommages pour la santé et l’environnement, d’inventions qu’elle encensait jadis : éthers de glycol, phtalates, amiantes… Je ne reviens pas sur l’évaluation des produits. Le vote de la directive Reach au Parlement européen a montré l’importance de ce type de dispositif pour la santé publique. Je regrette que les députés européens de droite aient vidé cette directive de sa substance. Et que dire de la gestion des déchets ? Est- ce parce que nous sommes passés au tri sélectif et que nous avons voté il y a quinze jours le remplacement des sacs plastiques par des sacs biodégradables que cette action doit être débudgétisée ? Cela nous ramène à l’ADEME. Financée depuis 2000 par des dotations des ministères de l’Écologie, de l’Industrie et de la Recherche, ses crédits de nouveau issus de taxes affectées, semblent particulièrement aléatoires. Comment imaginer que cette agence, dont le travail de recherche, de sensibilisation aux problématiques environnementales, de promotion du développement durable, puisse remplir convenablement ses missions avec un aussi faible budget ? Ce n’est pas à la hauteur de ce que nous sommes en droit d’attendre – une formule que reprennent tous les orateurs… Que dire, enfin, du montant des crédits affectés à l’action de lutte contre le changement climatique ? 10 millions contre 98 millions en 2005 ! Ce ne sont pas des moyens, c’est un alibi ! Quant aux parcs nationaux, sur le grill à l’Assemblée nationale, ils voient leurs crédits de fonctionnement diminuer de 20 %. Comment va-t-on créer ceux qui sont en projet et moderniser ceux qui sont issus de la loi de 1960 ? Enfin, sur 896 millions, ce sont toujours 237 millions qui vont vers la recherche sur le nucléaire. Comment ne pas déplorer une politique qui mise tout sur une source d’énergie unique, et sournoise, parce qu’elle semble propre. M. BIZET. – Donc intéressante pour l’écologie. M. DESESSARD. – C’est pourquoi je la dis sournoise. Les Verts réclament depuis des années un débat démocratique dont le gouvernement s’est passé en intégrant l’E.P.E. au projet de loi sur l’énergie. Les politiques sont confrontés à des choix qui peuvent hypothéquer l’avenir des générations futures. Pourquoi se fatiguer à poser des questions qui dérangent alors que des palliatifs à court terme permettent de dissimuler le problème et de le léguer aux générations suivantes ? L’Office parlementaire des choix scientifiques et techniques balaye d’un revers de main la question des déchets nucléaires en affirmant que la science a « presque » trouvé la solution. Nuance éloquente ! Face à des enjeux aussi angoissants qu’un accident nucléaire, une contamination à l’amiante, une épidémie aviaire, peut-on se permettre de poursuivre sans envisager un seul instant que l’on a pu se tromper ? Le projet E.P.R. le prouve. Embarqués dans une machine qui s’emballe, nous faisons le choix d’investir toujours plus dans le nucléaire, la foi chevillée au corps, en priant pour que la solution soit là. Est-ce bien resp
onsable ? Vous vous êtes vantée, madame la Ministre, d’avoir réussi en quelques mois à obtenir la réduction en 2006 de 50 % des sacs de caisse en plastique. Je vous en félicite. Mais c’est une politique offensive et volontaire que nous voulons. Les sacs de caisse, 15 % seulement des sacs plastiques, seront bientôt remplacés par des sacs biodégradables ou biofragmentables, ce n’est pas encore très clair. Reste que les Verts auraient préféré voir disparaître les sacs de caisse. M. BIZET, rapporteur pour avis. – Cela viendra. M. DESESSARD. – Dans le même ordre d’idée, le gouvernement a fait des efforts en direction des biocarburants en jouant sur la taxe intérieure sur la consommation. Mais les huiles végétales pures, sous la pression des lobbies, restent cantonnées à une utilisation discrète par les agriculteurs. Vous avez affirmé, lors des débats à l’Assemblée nationale, votre souhait de ne pas voir opposer l’écologie à l’économie. Mais pour le gouvernement, l’économie passe avant l’écologie. Certes, le budget global pour l’environnement, tous ministères confondus, serait de 2,6 milliards. Mais la répartition des crédits entre les programmes est déséquilibrée et les actions sont mal ciblées. Le programme contrôle et prévention des risques technologiques, en charge du contrôle de la sûreté nucléaire, est placé sous l’égide du ministère de l’Économie ! Et cela tandis que la gestion des stocks de munition, qui relève de la mission défense, est imputée au budget de l’environnement ! M. LE PRÉSIDENT. – Il est temps de conclure. M. DESESSARD. – Tout ceci est révélateur. Depuis des années nous attendons que l’on passe des intentions aux actes. À mesure que la planète se dégrade, que les ressources diminuent, que les espèces disparaissent, les réactions se font plus timorées. Pas de politique de développement durable, pourtant, sans prise en compte de ces contraintes. Nous serons jugés par nos enfants. C’est pourquoi je décrète, ici, l’état d’urgence environnemental. Face à cette urgence, les crédits de ce budget-alibi sont notoirement insuffisants. M. LE PRÉSIDENT. – Concluez je vous prie ! M. DESESSARD. – Aussi à votre ministère, je propose de donner un nouveau nom : ministère de la bonne parole de l’environnement. (Applaudissements sur les bancs socialistes.)