Explication de vote – séance du 25 juin 2008 M. le président. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard : Monsieur le président, permettez-moi de vous remercier, vous et les différents présidents de séance qui se sont succédé aujourd’hui, de la bonne tenue de nos débats.
Je vous remercie également, monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État, d’avoir pris le temps de nous expliquer les points qui nous semblaient difficiles à comprendre. Un court instant, en début de soirée, j’ai eu peur, car les réponses étaient laconiques ; mais le débat avançant, vous avez pris le temps de bien vous expliquer, et je vous en sais gré.
J’ai admiré la contribution des sénateurs du groupe UMP durant tout le débat (Sourires sur diverses travées), de leurs amendements, de leurs interventions, et j’ai été émerveillé…
(Mme Annie David. Du silence assourdissant de la majorité !)
… par leurs différentes prises de parole ! (Nouveaux sourires.)
(M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Qui ne dit mot consent !)
Sur le fond, je suis obligé de dire qu’il existe un désaccord profond entre la droite et la gauche sur ce projet de loi, ce qui s’est vu. Ça ne s’est pas entendu, parce qu’on n’a pas entendu grand-chose à droite, mais ça s’est vu !
(M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Quand la gauche est au pouvoir, elle ne change pas grand-chose sur les sanctions !)
Non, parce que la gauche pense que le problème de l’emploi est d’abord lié au système économique !
Elle pense qu’il est également lié à des mesures politiques qui peuvent être prises à certains moments pour aider le développement économique, par exemple en lançant des plans nationaux en faveur de l’emploi dans les secteurs de la santé, de l’éducation, de la justice.
(M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Par exemple, les 35 heures !)
À la suite du Grenelle de l’environnement, nous attendons que soit mis en place un plan pour développer l’éolien ou que soient prises des mesures environnementales.
Notre analyse est donc que l’emploi résulte d’abord d’une organisation économique. Mais la droite n’est pas d’accord ! Elle affirme que, si l’emploi n’est pas au rendez-vous, c’est la faute aux chômeurs ! Elle pense qu’il suffit de réorganiser l’ANPE, d’élaborer un projet personnalisé d’accès à l’emploi pour créer, d’un seul coup, de l’emploi !
C’est sur cette analyse qu’il existe entre nous une différence fondamentale !
Nous pensons qu’en prenant de telles dispositions, vous stigmatisez le chômeur. Vous, vous leur dites que, s’ils n’ont pas d’emploi, c’est leur faute, car ils ne sont pas capables d’en trouver, soit parce qu’ils sont trop fainéants, soit parce qu’ils ne sont pas assez formés !
(M. Nicolas About, président de la commission des affaires sociales. Sauf qu’en 1995 il y avait 3 millions de chômeurs et que la situation s’est améliorée !)
J’ai du mal à saisir la cohérence de ce projet de loi.
Vous affirmez qu’il y a entre 400 000 et 500 000 offres d’emploi non pourvues, et seulement 5 % des chômeurs seraient réticents à travailler. Pourquoi aurait-on du mal à faire la liaison entre ces 95 % de chômeurs qui seraient prêts à travailler et les 400 000 à 500 000 offres d’emploi non pourvues ?
Il ne vous vient pas à l’esprit que ce pourrait être en raison des bas salaires, de la pénibilité du travail, de la formation ! Sur tous ces points, vous n’avez apporté aucune réponse.
Vous nous dites qu’il faut établir un bilan personnalisé, accepter de parcourir un certain nombre de kilomètres pour aller trouver du boulot. À quoi cela sert-il ?
Regardez ce qui se passe aujourd’hui ! Un cadre refuse qu’on passe l’aspirateur dans son bureau à dix heures du matin : on oblige donc des personnes à venir passer l’aspirateur à sept heures. Les boulots les plus pénibles, les moins payés, sont effectués de sept heures à neuf heures du matin pour ne pas déranger ceux qui travaillent, eux, entre dix heures et dix heures et demie !
Pour adapter l’organisation du travail à la clientèle, on fait venir le personnel quand les clients sont là, mais on ne va pas le payer quand il y aura moins de clients ! Donc les personnes viennent le matin, repartent, puis reviennent !
Est-ce là le projet de société que vous proposez ?
Quelles sont les propositions du Gouvernement sur ces conditions de travail, sur ces horaires ? Car c’est là qu’est la vraie question ! Si l’on proposait d’autres salaires, d’autres conditions de travail, d’autres horaires, peut-être davantage d’offres d’emploi seraient-elles satisfaites ! Après tout, les gens ne sont pas obligés de tout accepter !
Indiscutablement, nous n’avons pas la même approche du problème.
En fin de compte, votre projet, sous couvert de faire travailler tout le monde, a pour objet d’adapter l’économie française en « cassant » le droit du travail, en ajustant les conditions de travail des salariés français à la compétitivité internationale. Du reste, ce n’est pas la première fois que le Gouvernement nous soumet un texte allant dans ce sens, et M. Sarkozy a bien expliqué que telle devait être l’orientation à suivre.
Mieux vaudrait, dans la perspective du « projet humain » dont parlait M. Seillier, s’interroger sur l’évolution de la société au regard des exigences écologiques, sur les ressources qu’il faut garantir pour demain, sur le type de travail que l’on souhaite promouvoir. Veut-on que les personnes vivent décemment de leur travail ? Peut-on se satisfaire que, au contraire, perdant sans cesse de leur pouvoir d’achat, elles soient obligées d’aller habiter de plus en plus loin de leur lieu de travail parce qu’elles ne peuvent plus payer leur loyer ?
Au lieu de s’interroger sur le projet de société que l’on veut pour demain, on tente de s’adapter aux systèmes économiques des pays émergents et à la pauvreté.
Monsieur le rapporteur, monsieur le secrétaire d’État, vous croyez que vous allez enrichir la France. Au contraire, avec ce projet de loi, et d’autres, les pauvres vont s’appauvrir. Peut-être les riches vont-ils s’enrichir…
(Mme Annie David. C’est sûr !)
Mais les riches n’apportent rien ! Ils investissent leur argent dans d’autres pays. Ils établissent leur domicile fiscal à l’étranger afin de bénéficier de dispositions plus favorables. Donc, lorsque les pauvres s’appauvrissent, c’est tout le pays qui s’appauvrit.
Vous croyez développer l’économie de notre pays, alors que vous participez à un mouvement qui ne fait qu’accentuer son appauvrissement. Non seulement vous allez faire souffrir les pauvres, qui vont devenir de plus en plus en pauvres, mais vous allez également contribuer à appauvrir l’ensemble de la population.
* Interventions sur artiles disponibles au lien suivant : http://www.senat.fr/senint/desessard_jean04067m_2007_pjl07-390_1.html