Le 4 mai 2015, les écologistes combattent avec persévérance les dispositions des articles 71, 72, 76 et 78 qui étendent largement les ouvertures de commerce le dimanche. Face à une majorité de droite favorable aux dispositions de la « loi Macron » sur l’extension du travail du dimanche, les amendement 474, 475, 476, 477, 478 et 479 défendus par M. Desessard ont été rejetés.
M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l’amendement n° 474.
M. Jean Desessard. Dans le droit actuel, il est possible de déroger au repos dominical par autorisation préfectorale. Le préfet peut en effet autoriser l’ouverture le dimanche dans les cas où une fermeture serait préjudiciable au public ou compromettrait le fonctionnement normal de l’établissement concerné. Il s’agit de cas exceptionnels, par exemple lorsqu’une entreprise souhaite effectuer une mise à jour ou une migration de son système informatique.
L’article 71 du présent projet de loi propose de limiter la durée de telles autorisations à trois ans. Nous ne comprenons pas pourquoi une durée si longue a été retenue et, au vu des situations qui donneront lieu à de telles dérogations, nous estimons qu’une durée d’un an est largement suffisante ; tel est l’objet de cet amendement.
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M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l’amendement n° 475.
M. Jean Desessard. Nous pourrons discuter un jour des bienfaits du tourisme, mais aussi de ses méfaits, qui existent également.
Au demeurant, je ne consacrerai pas mon temps de parole à cette question et me contenterai de rappeler les loyers élevés, obligeant les gens à se loger loin de leur lieu de travail, ainsi que les effets sur la consommation. Finalement, les habitants de ces territoires ne s’y retrouvent pas toujours. Un équilibre doit donc être trouvé en matière de tourisme.
Mme Marie-Noëlle Lienemann a raison, le concept de zones touristiques existe déjà. Je pense notamment aux communes d’intérêt touristique ou thermales, ainsi qu’aux zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente. Avec cet article 72, il s’agit de réaliser quelque chose de nouveau, de plus général et de plus facile à mettre en place.
L’article 72 du projet de loi prévoit la création de zones touristiques internationales permettant de déroger à la règle du repos dominical. Il est prévu que ces zones soient mises en place par arrêté des ministres compétents, à savoir les ministres chargés du travail, du commerce et du tourisme, après simple avis du maire, de l’intercommunalité et des syndicats intéressés, selon des conditions renvoyées à un décret futur.
Concrètement, ces zones seront celles que les touristes étrangers visitent en grand nombre – Aubervilliers en fait peut-être partie ! – et qui disposent d’une offre commerciale importante. L’argument justifiant la création de ces zones est le suivant : si les magasins n’ouvrent pas, les touristes chinois, japonais et américains, qui viennent dans notre pays pour faire du shopping, iront faire leurs achats ailleurs. (M. Roger Karoutchi proteste.) Évidemment, ils ne viennent chez nous que pour cela !
Concernant le périmètre de ces zones, il est aujourd’hui prévu qu’elles soient déployées sur certains quartiers de Paris – boulevard Haussmann, avenue des Champs-Élysées, rue du Faubourg Saint-Honoré… –, de Deauville, de Cannes et de Nice. Mais qu’en est-il des commerces implantés juste en dehors de ces zones ? Les touristes ne sont pas tous enfermés dans des circuits, ils se promènent dans les rues adjacentes, et les commerçants pourront invoquer le fait qu’ils se situent dans une zone frontalière et subissent une concurrence déloyale, comme l’ont dit MM. Bouvard et Cadic. Ils demanderont alors l’extension de ces zones.
Et quand tout Paris sera couvert, les communes voisines, comme Pantin ou Aubervilliers, demanderont à bénéficier de ce régime, puisqu’elles reçoivent aussi des touristes. (Protestations sur les travées de l’UMP.) Mais si, nous savons très bien que c’est la logique qui finira par s’imposer !
En résumé, nous risquons de voir, à terme, la majeure partie du territoire parisien et des grandes villes touristiques passer sous le régime des zones touristiques internationales.
M. Robert del Picchia. Voilà, la solution est trouvée !
M. Jean Desessard. Avec cet article 72, il nous est proposé de transformer nos villes et nos lieux de tourisme en gigantesques centres commerciaux à ciel ouvert.
M. Roger Karoutchi. Ce n’est pas encore fait !
M. Jean Desessard. Tel n’est pas le souhait des écologistes, et c’est pourquoi ces derniers proposent de supprimer cet article.
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M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l’amendement n° 476.
M. Jean Desessard. L’article 74 prévoit de remplacer les PUCE, créés par la loi Mallié de 2009, par des zones commerciales qui seront définies par décret. Ces nouvelles zones, qui bénéficieront des mêmes possibilités dérogatoires d’ouverture le dimanche, devront être caractérisées par « une offre commerciale et une demande potentielle particulièrement importantes ».
Ce critère est selon nous beaucoup trop large. En effet, qu’est-ce qu’une « demande potentielle particulièrement importante » ? Il y a un risque important que des zones commerciales de petite taille, situées dans des centres-bourgs bénéficiant d’afflux touristiques ou dans des stations balnéaires, soient concernées par cette définition. Cette rédaction imprécise entraîne ainsi un risque de diffusion sur tout le territoire du travail dominical.
En outre, si les PUCE ne concernaient que les unités urbaines de plus d’un million d’habitants, cet article ne prévoit au contraire aucun critère démographique pour la définition de ces nouvelles zones commerciales. Là encore, le risque est grand de les voir se répandre partout en France et que le travail dominical devienne bientôt la règle partout.
Enfin, le Gouvernement assure que ces zones commerciales permettront de créer de l’emploi. Si ce raisonnement peut se comprendre dans les zones touristiques internationales où l’argent viendrait de touristes étrangers, il est en revanche difficile à entendre lorsqu’il s’agit d’une zone de chalandise, c’est-à-dire d’un bassin de vie. Le consommateur qui aura fait ses courses le dimanche ne les fera plus en semaine. Il n’y aura donc pas plus d’argent à entrer dans le système. À moins qu’un touriste chinois ne s’égare dans le coin… (Sourires.) Si jamais il se trompe de station de métro en voulant aller aux Champs-Élysées et qu’il se retrouve par erreur dans la zone commerciale, imaginez sa joie d’apercevoir un magasin ouvert, alors qu’il ne s’y attendait pas, où il va pouvoir dépenser son argent pour acheter un sac Vuitton… Cette erreur d’aiguillage – ou cette décision volontaire – pourrait même se produire dans d’autres coins de France, car les zones internationales ne se trouvent pas seulement à Paris, il y en a aussi dans le Grand Paris et même beaucoup plus loin !
Bref, vous nous proposez une consommation sans pause, sans répit pour soi et ses proches. C’est pourquoi nous souhaitons la suppression de cet article.
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M. le président. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l’amendement n° 477.
M. Jean Desessard. Je vous l’accorde, monsieur le ministre, votre démarche, à savoir « pas de contreparties, pas d’ouverture le dimanche » pouvait être considérée comme intéressante. Bien sûr, nous remettions en cause l’inégalité de telles contreparties. La précarité progressant dans le pays, les salariés ne sont pas toujours en mesure de s’opposer à telle ou telle proposition. Quoi qu’il en soit, le dispositif que vous défendiez se tenait. J’imagine d’ailleurs que certains amendements visent à réintroduire cette idée.
Pourtant, la commission spéciale est allée plus loin, décidant que, pour certaines entreprises, il n’y aurait pas de contreparties, parce que cela ferait peser sur elles des charges supplémentaires. On voit très bien le raisonnement ! Il y aura toujours une bonne raison économique pour ne pas accorder de droits sociaux ou pour revenir sur des droits sociaux.
À partir du moment où l’on a admis l’idée qu’il fallait développer au maximum l’économie, la concurrence ne peut que s’intensifier entre entreprises, entre communes, entre territoires, et on arrivera à ce que le travail dominical, qui entraînera des contreparties de moins en moins importantes, devienne la règle. En effet, pourquoi prévoir des contreparties si c’est la règle ?
Le présent amendement vise donc à supprimer l’article 76.
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Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l’amendement n° 478.
M. Jean Desessard. L’article 78 prévoit d’étendre les dérogations au repos dominical pour les commerces de détail alimentaire situés dans les zones touristiques internationales et dans les emprises des grandes gares au-delà de treize heures.
Actuellement, ces commerces peuvent ouvrir jusqu’à treize heures s’ils ne sont pas déjà inclus dans un PUCE, à condition d’offrir à leurs salariés un repos compensateur, par roulement, d’une journée entière tous les quinze jours.
Désormais, les salariés des magasins concernés dépendront des accords collectifs qui seront conclus. Comme je l’ai expliqué lors de l’examen de l’article 76, les conditions prévues dans ces accords ne leur seront pas favorables.
Il s’agit d’une extension supplémentaire du travail dominical, alors que le repos pour tous ce jour-là, en tout cas l’après-midi, devrait être la règle.
De plus, la rédaction retenue par la commission spéciale vient complexifier le dispositif. Dans sa rédaction issue de l’Assemblée nationale, l’article prévoyait qu’un accord collectif et des contreparties salariales étaient nécessaires pour toute la journée du dimanche. Mais la commission a décidé de conserver le régime actuel le matin et d’appliquer le régime des accords et des contreparties au-delà de treize heures l’après-midi. La journée est donc scindée en deux, ce qui complexifiera la gestion pour les employeurs, sans toutefois offrir de protection supplémentaire aux salariés.
C’est pourquoi nous proposons la suppression de l’article 78.
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Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour présenter l’amendement n° 479.
M. Jean Desessard. Je fais partie, comme mes camarades communistes, des dinosaures qui luttent contre le travail le dimanche.
Cela étant dit, au début de l’ère industrielle, on travaillait le dimanche puisque l’on travaillait sept jours sur sept, dix ou douze heures par jour. Qui est donc le dinosaure ?
Pensez-vous que la situation des salariés était meilleure qu’aujourd’hui au XVIIIe ou au XIXe siècle lorsqu’on travaillait le dimanche ?
J’en viens à l’article 79, qui, dans la même logique que l’article précédent, prévoit d’étendre le travail dominical dans les emprises des gares, et ce pas uniquement pour les commerces alimentaires.
Madame Bricq, nous aurions pu tout à l’heure évoquer la qualité des produits alimentaires vendus dans les gares, cela aurait été intéressant, et les conditions de travail dans ces commerces, qui sont souvent des lieux clos, sans fenêtre.
L’article 79 prévoit d’autoriser l’ouverture le dimanche de tous les commerces de détail présents dans les gares. Le régime des compensations serait le même que celui qui a été retenu pour les commerces situés dans les périmètres d’usage de consommation exceptionnel, les PUCE, dont l’ouverture est autorisée par le préfet : il prévoit au minimum un doublement du salaire et un jour de repos compensateur, un accord collectif plus avantageux étant possible. Force est de reconnaître que ces compensations sont meilleures que celles qui sont proposées dans les trois nouvelles zones créées, mais la logique à l’œuvre est toujours la même : il s’agit de travailler plus le dimanche. Et l’on créé une nouvelle catégorie !
Les arguments avancés pour justifier cet article sont d’une portée limitée. S’il est concevable qu’un commerce de boissons et de sandwiches soit ouvert le dimanche dans l’emprise des gares afin de permettre aux voyageurs de se restaurer, on comprend moins l’utilité d’ouvrir des magasins de chaussures ou de vêtements dans ces mêmes gares. Pourquoi ne pas autoriser l’ouverture de tels magasins partout ?
Indépendamment de la concurrence qui est faite aux commerces des centres-villes, il s’agit là encore d’ouvrir un espace supplémentaire à la consommation tous azimuts, sans répit, en mettant les travailleurs encore plus à contribution.
Les écologistes vous proposent donc, en cohérence avec leurs autres amendements, de supprimer l’article 79.
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