La majorité de droite a profité des brèches ouvertes par le projet de loi pour y apposer sa marque et aggraver un texte déjà insatisfaisant dans sa forme initiale.
Explication de vote du groupe écologiste. (Voir la vidéo)
M. le président La parole est à M. Jean Desessard, pour le groupe écologiste.
M. Jean Desessard. Après quinze jours de débats, le Sénat a achevé l’examen de l’un des plus longs textes que notre assemblée ait eu à étudier.
Sur la forme, j’ai eu l’occasion hier de souligner le bon climat des débats, grâce à l’écoute constructive dont ont fait montre le ministre, les corapporteurs et le président de la commission spéciale.
Sur le fond, dans sa philosophie générale, le projet de loi tend à déverrouiller un certain nombre de secteurs, dans l’objectif affiché de créer de l’activité et de la croissance. Ouvertures de lignes privées d’autocar, liberté d’installation et regroupement des professions réglementées, simplification du droit de l’environnement, ouverture facilitée des commerces le dimanche et la nuit : telles sont certaines des propositions qui nous sont faites.
Tout d’abord, monsieur le ministre, nous sommes réservés quant au potentiel de croissance que vous pensez obtenir grâce à ces mesures de dérégulation.
Ensuite, en vertu de votre volonté de produire toujours plus, vous considérez comme autant d’obstacles des règles qui tendent à préserver notre patrimoine ou notre environnement ; obstacles aussi des règles qui garantissent le droit des salariés à disposer de temps libre ; obstacles encore des règles qui garantissent l’éthique des professions réglementées.
Cependant, afin de limiter l’impact négatif de certaines mesures, vous avez prévu des contreparties. Ces contreparties permettent à votre réforme d’atteindre un point d’équilibre que l’on peut qualifier de « social-libéral ».
Mais qu’adviendra-t-il si une nouvelle majorité est aux commandes (Exclamations amusées sur les travées de l’UMP.)…
M. Francis Delattre. Excellente question !
M. Jean Desessard. … et si un nouveau ministre de l’économie occupe votre poste ?
Le projet de loi ouvre des brèches qui peuvent être exploitées dans une logique tout autre que celle de l’actuel gouvernement. (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.)
Le projet social-libéral peut très facilement devenir libéral tout court. C’est précisément ce qui s’est d’ores et déjà produit lors de l’examen du texte au Sénat. La majorité de droite… (Protestations sur les travées de l’UMP et de l’UDI-UC.)
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Et du centre !
M. Jean Desessard. … ou la majorité sénatoriale, pour ne pas vous vexer, chers collègues, a profité de votre projet de loi, monsieur le ministre, pour y apposer sa marque et rompre l’équilibre que vous proposez.
M. Gérard Cornu. Heureusement !
M. Jean Desessard. Sur le travail dominical et nocturne, les entreprises auront la possibilité de déroger très largement aux contreparties en s’affranchissant du dialogue social.
Mme Éliane Assassi. Eh oui !
M. Jean Desessard. À l’occasion de la libéralisation du transport par autocar, la majorité sénatoriale a adopté un amendement visant à l’ouverture à la concurrence du transport ferroviaire régional.
Et puisque l’on traite largement du droit du travail, pourquoi s’arrêter ? Pourquoi ne pas instaurer trois jours de carence dans la fonction publique hospitalière et territoriale, relever les seuils sociaux et permettre de déroger aux 35 heures ? (Marques d’approbation ironiques sur les travées de l’UMP et applaudissements sur les travées de l’UDI-UC.)
M. Joël Guerriau. Très bien !
M. Jean Desessard. Le risque d’une dérive libérale n’est donc pas hypothétique : le texte qu’il nous est proposé aujourd’hui de voter nous en apporte la preuve.
Nous déplorons aussi très vivement l’adoption, à cinq heures du matin, juste avant l’interruption de nos travaux pendant deux semaines, de l’amendement qui vise à permettre le stockage de déchets radioactifs à Bure, dit « amendement Cigéo », qui avait même été appelé par priorité afin de s’assurer qu’il serait voté avant la fin de la séance !
Pour être objectif, il faut cependant prendre acte du travail du Sénat sur plusieurs points. (Ah ! sur les travées de l’UMP.) La limite kilométrique de déclaration des lignes d’autocar à l’Autorité de régulation des activités ferroviaires et routières a été relevée pour ne pas concurrencer les lignes publiques. L’article 29, qui empêchait la démolition de bâtiments soumis à recours contentieux, a été supprimé. Enfin, le Sénat a adopté une position équilibrée au sujet des professions réglementées en redonnant la main au ministère de la justice sur les installations et en encadrant les remises.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Excellent !
M. Jean Desessard. Toutefois, ces quelques avancées ne changent en rien notre analyse globale.
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. C’est dommage !
M. Jean Desessard. Nous refusons la logique de ce texte, selon laquelle la croissance sera au rendez-vous de la dérégulation. Nous ne pensons pas qu’il faille de la dérégulation pour créer de la croissance. Nous craignons aussi, comme je l’ai déjà dit, qu’une autre majorité ne s’engouffre dans la brèche ouverte et n’impose toujours plus de dérégulation au nom d’une hypothétique croissance. Cette nouvelle majorité, monsieur le ministre, n’aura pas les limites que vous vous êtes imposées dans ce texte.
Les écologistes voteront par conséquent contre ce projet de loi.
(Applaudissements sur les travées du groupe écologiste et du groupe CRC. – Marques de déception feintes sur les travées du groupe UMP.)
Lire le compte-rendu intégral du débat.