Intervention de Jean Desessard le 4 mai 2015 concernant les dispositions de la Loi Macron sur le travail du dimanche.
Vous pouvez également consulter le compte rendu analytique de la séance du 4 mai 2015.
M. Jean Desessard. Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission spéciale, mesdames, messieurs les corapporteurs, mes chers collègues, nous voici en troisième semaine ! (Sourires.)
M. Vincent Capo-Canellas, président de la commission spéciale. Et en pleine forme !
M. Jean Desessard. Ce n’est pas que je n’ai pas plaisir à discuter avec vous, monsieur le ministre de l’économie, mais on aurait pu penser que les dispositions que nous abordons, relatives au travail le dimanche, seraient examinées avec M. le ministre du travail.
Mme Annie David. Eh oui !
M. Jean Desessard. Son absence aujourd’hui signifie qu’une partie importante du problème a été oubliée.
Au travers de ces articles 71 à 82 bis, le projet de loi prévoit de réformer les règles concernant le travail dominical et nocturne.
Concernant le travail dominical, le droit actuel comprend trois types de dispositions qui permettent déjà de déroger à la règle du repos le dimanche.
Je veux parler, tout d’abord, des dérogations permanentes, prévues à l’article R. 3132-5 du code de travail et valables pour les hôtels, les hôpitaux et les entreprises de transport ; cela paraît naturel.
Je songe, ensuite, aux dérogations conventionnelles, lesquelles requièrent un accord collectif, avec une majoration de rémunération d’au moins 50 % ; cela paraît également naturel.
Je pense, enfin, aux dérogations accordées par voie administrative, soit dans le cas des « dimanches du maire », soit dans le cas des PUCE à Paris, Lille et Marseille, soit par autorisation préfectorale.
Le Gouvernement souhaite créer trois nouvelles zones dans lesquelles le travail dominical serait permis sous conditions : les zones touristiques internationales, à Paris, Deauville, Cannes et Nice, bénéficiant d’un afflux de touristes étrangers ; les zones commerciales, remplaçant les PUCE de la loi Mallié et permettant leur généralisation sur le territoire ; les zones touristiques, regroupant les « communes d’intérêt touristique ou thermales » et les « zones touristiques d’affluence exceptionnelle ou d’animation culturelle permanente ».
Il prévoit également d’augmenter de cinq à douze le nombre de « dimanches du maire », de fixer la durée des autorisations d’ouverture administratives à trois ans – nous y reviendrons – et d’autoriser l’ouverture toute la journée des commerces dans l’emprise des grandes gares.
En un mot, ce qui nous est proposé ici, c’est la diffusion et la généralisation du travail dominical sur le territoire. À quelle fin ? L’emploi, nous dit-on… On nous promet des milliers d’emplois créés, une « libération » des énergies et plus de « souplesse » – le mot revient souvent, à droite comme à gauche – donnée aux entreprises.
Toutefois, pour qu’il y ait de l’emploi, il faut qu’il y ait de la consommation ! Il faut des gens pour acheter et faire vivre les entreprises. Certes, je peux concevoir que des touristes chinois consomment dans les zones touristiques internationales ou que des touristes russes fassent des emplettes à Nice le dimanche !
Mme Dominique Estrosi Sassone, corapporteur de la commission spéciale. Oui ! À Nice ! (Sourires.)
M. Jean Desessard. Pour le reste, si les commerces destinés aux consommateurs français sont désormais ouverts, les personnes qui achèteront un bien le dimanche ne l’achèteront pas en semaine. Il s’agit simplement d’un autre rythme de consommation.
Les écologistes sont pour la réduction du temps de travail. Travailler moins, c’est accorder plus de temps à ses proches ou à sa famille ; c’est avoir plus de temps pour s’occuper de l’éducation de ses enfants, pour s’instruire, pour aider les autres. Généraliser le travail du dimanche, c’est briser ces rythmes de vie communs, qui fondent notre société ! Où sera la vie commune quand les travailleurs récupéreront leurs jours travaillés le dimanche à travers toute la semaine ? Où seront les temps d’échange et de partage dans la famille ?
Vous vous plaignez d’un manque d’éducation au sein de certaines familles. Mais comment les personnes qui travailleront le dimanche pourront-elles éduquer leurs enfants sans les voir ? Soyez logiques ! Vous ne pouvez pas demander une chose et son contraire.
C’est le même esprit qui est à l’œuvre pour le travail nocturne. Aujourd’hui, celui-ci commence à vingt et une heures. Il nous est proposé de repousser le seuil à minuit dans les zones internationales, soit encore trois heures de moins pour soi, sa famille et ses amis !
Au demeurant, et cela a déjà été souligné, le travail de nuit comporte des risques réels et avérés pour la santé des travailleurs : troubles digestifs et déséquilibre nutritionnel, désadaptation et isolement social, risques cardiovasculaires accrus, probabilité plus élevée de cancers, notamment du sein et colorectal, et, chez les femmes enceintes, risque plus élevé de prématurité et fausses couches. Ce n’est pas moi qui le dis ; cela figure sur le site du ministère du travail. D’ailleurs, le ministre concerné n’est pas là, et de telles informations ne figurent naturellement pas sur le site du ministère de l’économie !
À nos yeux, inciter les salariés à se mettre en danger pour leur travail ne constitue pas une réponse satisfaisante au problème du chômage.
Dédier sa vie à la consommation, briser les rythmes partagés de travail et de repos, parfois au mépris de la santé des travailleurs, voilà ce qui nous est proposé dans ce chapitre du projet de loi. C’est pourquoi les écologistes demanderont la suppression de la plupart des articles qui le composent ! (M. Pierre-Yves Collombat applaudit.)