Discussion générale
Intervention de Jean Desessard dans la discussion générale sur le Projet de Loi généralisant le Revenu de Solidarité Active et réformant les Politiques d’Insertion
Monsieur le haut-commissaire, vous avez fait référence à la mission d’information sur les politiques de lutte contre la pauvreté et l’exclusion, présidée par M. Christian Demuynck, et bien présidée, d’ailleurs, je dois le signaler. Mais vous et moi n’en tirons pas les mêmes conclusions.
En effet, lors des auditions relatives à la mise en œuvre du RSA, des responsables – élus, ou représentants associatifs ou institutionnels – avaient insisté sur la nécessité de poursuivre l’expérimentation.
D’où ma première interrogation : pourquoi avoir bousculé le calendrier ?
Pourquoi avoir sollicité une mise en place rapide de la généralisation du RSA, alors qu’il semblait que les départements s’appropriaient le concept et exprimaient le désir de poursuivre les expérimentations ?
Ces expérimentations apparaissaient d’autant plus nécessaires que des zones d’ombre subsistent quant aux modalités d’application du RSA. Nous y reviendrons au cours du débat.
Je souhaite maintenant en venir au cœur du projet de loi : la possibilité, pour les bénéficiaires du RSA, de cumuler des revenus d’activité avec les minima sociaux. Monsieur le haut-commissaire, j’ai trop longtemps milité au quotidien avec les associations de chômeurs pour ne pas reconnaître que le RSA présente certains aspects positifs.
Le RSA a pour effet d’encourager la reprise d’un emploi, même à temps partiel ou à durée déterminée, en assurant une amélioration des revenus de celui qui va travailler. Les associations de chômeurs n’ont de cesse de dénoncer le fait que, trop souvent, la reprise d’une activité se traduit par des charges plus importantes pour un revenu équivalent.
Le RSA est également un moyen de lutter contre la pauvreté car, en permettant de dépasser les minima sociaux dès la première heure travaillée, on augmente les revenus de la personne.
Vous avez également, monsieur le haut-commissaire, instauré un début de simplification administrative. Toutefois, il ne s’agit bien que d’un début, car vous êtes loin d’avoir abouti.
Vous n’êtes pas encore au point : vous gardez l’échelon trimestriel, la mise en œuvre reste compliquée, mais – je le répète – c’est un début.
J’ai noté un autre point positif : le RSA se rapproche de l’idée d’un minimum garanti de solidarité dans notre société. Vous n’avez pas touché à ce qui fait la garantie solidaire, vous avez découplé le revenu de l’activité, ce qui est une bonne chose, vous l’avez maintenu pour les retraites, l’assurance maladie ou encore l’assurance chômage.
Cependant, je relève une anomalie, sans parvenir à me l’expliquer : alors que le Gouvernement remet en cause non seulement le chômage, en réduisant les indemnités versées aux chômeurs, mais aussi les retraites et les forfaits maladie, vous, vous échappez à cette tendance. Je tenterai deux explications : soit vous vous êtes montré particulièrement persuasif, soit les effets pervers dont parlait notre collègue Alain Vasselle vont venir « cannibaliser » le système et l’emporter sur les effets positifs. (Murmures d’approbation sur les travées du groupe socialiste.) On n’utilise pas n’importe comment un outil, monsieur le haut-commissaire !
Je viens de reconnaître que le concept du RSA est bon ; toutefois, il faut étudier le contexte dans lequel il s’inscrit.
Je crains que, monsieur le haut-commissaire, vous ne soyez tel Sisyphe, qui pousse sans relâche son rocher jusqu’au faîte de la falaise, et, une fois au sommet, le voit dégringoler, et doit recommencer ad vitam aeternam son dur labeur.
Comment lutter aujourd’hui contre la pauvreté dans un système qui engendre lui-même la pauvreté, dans une société qui génère l’exclusion ?
Vous rappelez-vous du moment où nous avons parlé du RSA ? C’était en juillet, voilà un an et trois mois, lors de l’examen la loi TEPA, par laquelle on a distribué 15 milliards d’euros aux plus riches. Et, aujourd’hui, nous peinons à trouver 1,5 milliard d’euros pour financer la généralisation du RSA !
En tant qu’écologistes, nous sommes bien sûr favorables à une réduction globale du temps travaillé, à l’échelle de notre planète. Elle marquerait un progrès social évident, et, selon nous, participerait d’une démarche de réduction massive de l’utilisation des ressources naturelles. La réduction du temps de travail peut se traduire par une réduction du temps de travail hebdomadaire à 32 heures, l’abaissement de l’âge de départ à la retraite, le développement du temps partiel choisi. Je dis bien « le temps partiel choisi ». En effet, dans la société actuelle, qui fonctionne à flux tendus, le temps partiel est le plus souvent subi au profit des employeurs, et c’est là qu’est le problème.
Aujourd’hui, ce sont les caissières des grands magasins qui ne sont embauchées qu’aux heures de pointe et se retrouvent avec des « trous » de plusieurs heures dans leur emploi du temps.
Ce sont ces femmes de ménage auxquelles on demande de venir travailler à quatre heures, cinq heures ou six heures du matin pour que le bruit de leurs aspirateurs ne dérange pas les personnes qui travaillent dans les bureaux pendant la journée.
Et on viendra ensuite leur reprocher de ne pas suffisamment suivre la scolarité de leurs enfants ! (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)
Ainsi va notre société, et c’est là qu’est le problème. M. Sarkozy nous parle de « moraliser » le capitalisme. Il faudrait qu’il nous fournisse le mode d’emploi – d’ailleurs, c’est une façon d’avouer que le capitalisme est immoral ou, au moins, amoral ! – et qu’il procède à une sérieuse autocritique. En effet, depuis le début de son mandat, nous assistons à une libéralisation sans limites.
Les différentes lois votées cette année ont pour effet de transférer la notion de service public vers le privé : on assiste au transfert du service public vers la servitude dans le privé !
Je me rappelle l’idée principale ayant présidé à l’élaboration de la loi TEPA : il fallait défiscaliser les plus riches pour qu’ils puissent employer à leur tour d’autres personnes, ce qui sous-entend une société fondamentalement inégalitaire, l’objectif étant que les plus riches aient les moyens d’embaucher les plus pauvres, nombreux et corvéables à merci.
Ce système implique une pression à la baisse sur l’ensemble des salaires ; sinon, qui accepterait des conditions de travail pénibles, des horaires de travail décalés ?
C’est ce système d’exploitation qui crée les conditions de la pauvreté, du chômage, de la précarité, pour contraindre les travailleurs à accepter des conditions salariales de plus en plus défavorables.
Enfin, je tiens à vous alerter sur les moyens dont nous disposons pour mettre en œuvre le RSA : alors qu’en 2005 vous évoquiez une enveloppe nécessaire de 5 milliards d’euros supplémentaires pour que le dispositif soit pleinement efficace, aujourd’hui, vous nous proposez à peine 1,5 milliard d’euros.
La mise en place d’une nouvelle contribution de 1,1 % aurait pu être une solution crédible si le Gouvernement ne s’était obstiné à vouloir exonérer les contribuables les plus riches, bénéficiaires du « bouclier fiscal », de l’effort de solidarité en faveur des plus démunis.
Dans le projet de loi, rien n’est prévu pour les jeunes. J’ai déposé plusieurs amendements visant à expérimenter la généralisation aux jeunes âgés de dix-huit à vingt-cinq ans et à prendre en compte non plus les revenus du foyer fiscal, mais ceux de la personne.
J’ai également proposé la réévaluation mensuelle, et non trimestrielle, du RSA, afin d’éviter aux bénéficiaires d’avoir à rembourser des indus.
Monsieur le haut-commissaire, si l’idée d’instaurer un RSA est juste, que vaut-elle dans un contexte aussi défavorable où tout est organisé pour générer de la pauvreté et de l’exclusion, d’autant que vous ne disposez pas des moyens nécessaires à la mise en œuvre d’une réelle politique de solidarité ?
Je suis très réservé quant à la capacité du RSA à résoudre durablement la grave crise sociale que nous traversons. Vous allez certainement nous expliquer, pendant les jours à venir, comment il pourra se révéler être la bonne solution.
Je crains, au contraire, que cette idée juste ne serve de caution à un gouvernement qui conduit en réalité une politique profondément inégalitaire et que les effets pervers ne trahissent l’intention louable initiale.
Avec le RSA, vous avez eu l’intelligence de produire un concept d’assistance dynamique, mais, compte tenu de la politique actuelle du Gouvernement, il sera au mieux un palliatif, sans être l’ébauche d’une politique de solidarité, de partage du travail, de justice sociale.
(Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC.)