Question du 5 février à M. Rebsamen, ministre du Travail, de l’Emploi, de la Formation professionnelle et du Dialogue social.
Monsieur le ministre, selon l’INSEE, le 31 décembre 1960, notre pays comptait 20 583 000 personnes en situation d’emploi. Cinquante-deux ans plus tard, le 31 décembre 2012, 26 319 000 personnes travaillaient, soit une augmentation de 27,9 %.
Durant la même période, toujours selon l’INSEE, le nombre d’heures travaillées dans la totalité des branches est passé de 43,501 milliards à 39,872 milliards, soit une diminution de 8,3 %.
Cela signifie qu’un travailleur de 2012 passe 28 % moins de temps au travail que son père en 1960. Comment l’expliquer ?
Par un ralentissement de l’activité ?
Non, car durant ces cinquante-deux ans le PIB par habitant a été multiplié par trois.
Ainsi, un travailleur de 2012 crée autant de richesses en une heure que 3,8 travailleurs de 1960. Il y a besoin de moins de main-d’œuvre, ce qui entraîne deux conséquences majeures : la hausse du chômage et la précarisation des travailleurs – à la fin de 2014, plus de 83 % des embauches étaient réalisées en contrat à durée déterminée.
Aussi, je m’intéresse au mouvement de fond qui traverse nos sociétés depuis les Trente Glorieuses : l’augmentation de la productivité. Mécanisation hier, robotisation aujourd’hui et intelligence artificielle demain : ce processus n’est pas achevé ! Les moyens techniques optimisent sans cesse davantage le temps de travail, d’où la nécessité d’un partage du travail.
Dans les années soixante et soixante-dix, la diminution du temps travail salarié avait une connotation positive. Le véritable problème, c’est que le fruit de ces gains de productivité a été accaparé par le capital au lieu d’être consacré à l’emploi. Entre 1978 et 2012, les dividendes versés aux actionnaires des sociétés non financières ont quasiment triplé, passant de 3 % à 9 % de la valeur ajoutée totale. Dans le même temps, la part de cette valeur ajoutée allouée à la masse salariale a chuté de 8 %.
Dès lors, monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour que tout le monde ait accès à l’emploi dans une société où l’emploi, dans sa globalité, sera moindre ?
Mme la présidente. La parole est à M. le ministre.
M. François Rebsamen, ministre. Monsieur le sénateur, vous posez là une question de fond à laquelle, vous en conviendrez, il est difficile de répondre en deux minutes.
La durée annuelle du travail s’est réduite dans tous les pays développés depuis 1950, et même depuis le début du XXe siècle : fut un temps où l’on faisait travailler les ouvriers la nuit, y compris les enfants. Ce n’est plus le cas aujourd’hui,…
M. Claude Dilain. Et heureusement !
M. François Rebsamen, ministre. … même si, sur un tout autre plan, je vais prendre des dispositions afin de permettre aux jeunes d’avoir accès à l’apprentissage pour un certain nombre de travaux.
Ce mouvement de réduction du temps de travail s’est opéré de diverses manières. Tout d’abord, vous l’avez rappelé, il résulte de l’effort de productivité accompli dans tous les pays développés. Ensuite, en France et dans l’Europe entière, il procède de la réduction de la durée collective du travail. Enfin, le temps partiel s’est développé.
Vous le savez, il faut distinguer le temps partiel choisi du temps partiel subi. Nous avons essayé de lutter contre le temps partiel subi tout en facilitant le temps partiel choisi. Mais, dans ce domaine comme dans les autres, les solutions varient beaucoup selon les pays.
Il y a quelques instants, j’ai cité le cas de l’Allemagne, où le taux d’employabilité – pardonnez-moi ce terme technique, qui n’est pas très élégant – est bien moins élevé pour les femmes qu’en France.
Mme Françoise Laborde. C’est vrai !
M. François Rebsamen, ministre. Pour l’heure, faute d’un nombre suffisant de crèches ou d’aides à domicile pour élever les enfants, les Allemandes, ensuite, optent souvent pour le travail à temps partiel, qu’il soit choisi ou subi – je ne me prononcerai pas sur ce point.
La baisse tendancielle du temps de travail est-elle un mouvement inéluctable ? Voilà la question de fond que vous posez.
Si, malgré « l’alignement des planètes » qui l’on observe actuellement en matière économique – sur ce front, la situation générale devrait s’améliorer en 2015 –, la croissance ne redémarrait pas dans notre pays, la question que vous posez devrait sans doute être soumise à tous.
Mme Laurence Cohen. Et la réduction du temps de travail ?
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard, pour la réplique.
M. Jean Desessard. Monsieur le ministre, vous avez compris ma question même si, vous l’avez dit vous-même, vous ne pouviez pas y répondre réellement en deux minutes. En définitive, ne courons-nous pas derrière une croissance qui ne reviendra pas ? Aussi, plutôt que de distribuer l’argent au capital en demandant aux salariés de travailler plus, ne pourrait-on pas privilégier la masse salariale et partant embaucher davantage ? Voilà la question ! (Marques d’approbation sur les travées du groupe CRC.)
Mme Laurence Cohen. La solution, c’est de travailler moins longtemps !
M. Jean Desessard. Dès lors, quelles mesures prendre pour rétablir un équilibre, pour que les salariés disposent d’une masse salariale plus large et pour que cette somme soit répartie plus équitablement entre eux ? Tel est le sujet dont nous pourrons débattre, lorsque nous disposerons d’un peu plus de temps…(Applaudissements sur les travées du groupe CRC – M. Vincent Dubois applaudit également.)