Intervention en séance de Jean Desessard, auteur de la Question orale avec débat sur l’adéquation de la formation professionnelle aux besoins des demandeurs d’emploi – 12 juin 2014
Monsieur le président,
Monsieur le ministre,
Mes chers collègues,
Avec ce débat je souhaite aujourd’hui interpeller le Sénat et le Gouvernement sur la formation professionnelle des chômeurs et plus spécifiquement sur l’adéquation de celle-ci avec les besoins des chômeurs.
Je suis parti d’une interrogation simple. En septembre 2013, le conseil d’orientation pour l’emploi a estimé que près de 400 000 tentatives de recrutement sont abandonnées chaque année, faute de candidat adapté. Ce chiffre a fait couler beaucoup d’encre et suscité de nombreux débats : pointer du doigt la rigidité de notre marché du travail, fustiger un coût du travail trop élevé et surtout, s’interroger sur l’inadéquation des compétences des demandeurs d’emploi et les manquements de la formation professionnelle.
Pour analyser ce chiffre et s’interroger sur ce qu’il recouvre, j’ai mené des auditions afin de le confronter aux différents points de vue. J’ai rencontré des représentants de mouvements de chômeurs, des syndicats au sein de Pôle emploi, des organisations patronales et des représentants de Pôle emploi.
Plusieurs raisons peuvent expliquer qu’un poste soit non pourvu :
- le contexte économique,
- l’attractivité d’un poste, subjective ou objective,
- et l’inadéquation des compétences des candidats au poste proposé.
Concernant l’activité économique, un processus de recrutement peut être interrompu par l’employeur. Une offre d’emploi est publiée, un processus de recrutement s’engage, mais il n’est pas mené à son terme car l’entreprise revoit ses prévisions d’activité à la baisse. Une enquête, réalisée par Meteojob et Campaneo en décembre 2013 sur un panel de 772 très petites entreprises (TPE) et petites et moyennes entreprises (PME), a révélé qu’un tiers d’entre elles a abandonné un projet de recrutement au cours de l’année.
Il ne s’agit pas d’emplois non pourvus, car lorsque le processus de recrutement s’arrête, le poste n’existe plus. Cependant, certains employeurs ne font pas part de cette raison et préfèrent déclarer que le recrutement n’a pas eu lieu par manque de candidat qualifié, ce qui fausse les statistiques du conseil d’orientation pour l’emploi.
Un poste peut être non pourvu à cause de son attractivité subjective, celle qui renvoie à l’image que l’on s’en fait. Cette notion est véhiculée par des représentations culturelles, des clichés, qui sont parfois un peu datés. Prenons l’exemple du maçon : lorsque l’on imagine ce métier, on pense immédiatement à un travail éreintant, physique, où l’on doit porter toute la journée des parpaings, dans un environnement de travail dangereux.
En réalité, ce métier a beaucoup évolué : le maçon travaille avec des moyens de plus en plus mécanisés (levage, manutention …), il travaille avec des matériaux variés, développe des compétences connexes avec les autres corps d’état comme les couvreurs et les électriciens et il maitrise de plus en plus les techniques orientées développement durable (isolation thermique, efficacité énergétique…).
Il est dit que le métier de maçon est notoirement en tension et il fait défaut aux employeurs, notamment à cause de cette image erronée. Je suis allé consulter la base de données de Pôle emploi qui recense plus de 3 millions de CV de demandeurs d’emploi pour vérifier si les postes de maçons sont effectivement peu demandés.
Je me suis lancé dans une petite expérience pour tester l’efficacité de ce dispositif. Après m’être inscrit en moins de 5 minutes grâce à mon SIRET, j’ai pu accéder à la base de données. J’ai cherché des CV de maçons et me suis arbitrairement fixé dans la Côte-d’Or. Dans ce seul département, ce ne sont pas moins de 1 045 CV qui me sont proposés. Au niveau national, on trouve pas loin de 19 000 CV de maçons recherchant un emploi. On est loin de la pénurie de candidats souvent pointée du doigt.
Ainsi, l’information existe. Les CV sont là, disponibles, et les employeurs n’ont que très peu d’efforts à fournir pour trouver le candidat adéquat. Ce ne sont pas les compétences qui font défaut puisque tous ces candidats disposent de l’expérience nécessaire pour occuper le poste de maçon.
Il y a donc deux explications : soit l’évaluation classant les maçons dans une profession « sous tension » est fausse, soit la base de données de Pôle emploi n’est pas mise à jour et les CV s’entassent sans être retirés.
Quoi qu’il en soit, l’action pour contrer l’impact négatif de certains clichés commence à se développer. Pôle emploi a débuté une collaboration avec les branches professionnelles pour sensibiliser aux réalités des métiers et inciter les chômeurs à remettre en cause leurs stéréotypes. L’institution sensibilise également les chômeurs à l’évolution professionnelle au sein des filières.
Par exemple, un responsable de Pôle emploi m’a expliqué que la profession d’agent de déchetterie était assez peu demandée alors que les besoins de main d’œuvre sont là. Pourtant, cette profession permet pourtant d’entrer dans une filière florissante : la filière EADA (eau, air, déchets et assainissement). Pôle emploi a ainsi décidé de communiquer auprès des chômeurs sur les possibilités d’évolution au sein de cette filière d’avenir et l’institution leur présente le poste d’agent de déchetterie comme une porte d’entrée intéressante qui mérite leur attention.
Les initiatives en ce sens ne proviennent pas que de Pôle emploi. Ainsi, le Medef a lancé une campagne télévisée, intitulée « beaumétier ». Celle-ci, qui sera diffusée en 115 épisodes d’une minute d’ici à décembre sur les chaines télévisées publiques, mettra en lumière tous ces métiers qui n’attirent pas les candidats et qui gagneraient à être mieux connus.
L’attractivité d’un poste ne concerne pas uniquement l’image, elle peut être influencée par les conditions de travail ou le salaire.
Car ces 400 000 postes annoncés sont loin d’être tous des CDI de 35 heures. Les enquêtes en besoin de main d’œuvre (BMO) de Pôle emploi, et les évaluations du gouvernement qui ont précédé la mise en place du plan « formations prioritaires pour l’emploi » identifient les besoins les plus forts dans mêmes filières : BTP, hôtellerie-restauration, agroalimentaire…
Ces secteurs ont en commun d’avoir une stabilité de l’emploi relativement limitée pour leurs salariés et des rythmes de travail soutenus. Par exemple, il sera difficile à un serveur de trouver une offre d’emploi en CDI. Ces conditions de travail peuvent freiner de nombreux candidats qui préféreront postuler dans des emplois plus durables.
Outre le salaire et les conditions de travail, il y a aussi l’adéquation du salaire et des conditions de travail avec l’expérience et les compétences du demandeur d’emploi. Un informaticien, s’il a 15 ans d’expérience et maitrise de nombreuses compétences, n’aura pas envie d’accepter un salaire de débutant, même s’il est demandeur d’emploi.
Vient ensuite l’adéquation des compétences des demandeurs d’emploi au poste. Un employeur peut mettre un terme au processus de recrutement s’il n’arrive pas à trouver de candidats avec les compétences qu’il souhaite. On touche ici au cœur de notre sujet : la formation à proprement parler des chômeurs. Celle-ci peut être initiale, avec l’éducation nationale, ou continue, avec les différents organismes de formation.
Concernant la formation initiale, on peut se dire que cela ne relève pas du thème du débat d’aujourd’hui. Or, les lacunes de l’enseignement dispensé à l’école, au collège et au lycée, ont des répercussions évidentes sur l’employabilité des demandeurs d’emploi. Un signe qui ne trompe pas : le programme « compétences clés » mis en place par l’Etat pour combler les lacunes, entre autres, des demandeurs d’emploi dans l’informatique, les langues ou encore les mathématiques, connait un grand succès : les 50 000 formations réalisées chaque année dans ce cadre ne suffisent pas à satisfaire toute la demande.
Concernant la formation continue, si Pôle emploi finance seulement 10% des formations, il est le prescripteur d’environ 90% d’entre elles. Celles-ci peuvent se classer en trois grandes catégories :
- Les formations de préparation à l’embauche, de 400 heures maximum, lorsque le demandeur d’emploi est en processus de recrutement dans une entreprise,
- Les formations mobilisées individuellement, par le droit individuel à la formation (DIF) et maintenant, par le compte personnel de formation (CPF)
- Et les formations conventionnées par Pôle emploi.
Leur mise en place résulte d’un besoin d’embauches et de qualifications constaté auprès des entreprises. Parmi les financeurs, on retrouve les régions, qui définissent leurs priorités dans les programmes régionaux et les OPCA, qui représentent chaque branche professionnelle.
C’est ici que les plus grandes difficultés d’orientation des chômeurs sont constatées. En effet, vu que les formations dépendent des branches, les dispositifs sont très nombreux et complexes. Lors de mes auditions, j’ai cherché à connaitre précisément leur nombre et les réponses que j’ai eues vont de « plusieurs dizaines » à « plus d’une centaine ». Même l’IGAS, dans son rapport d’août 2013, ne parvient pas à chiffrer précisément ces dispositifs et parle seulement d’un « système complexe », basé sur une addition de « logiques différentes selon les acteurs institutionnels ».
Cette complexité touche en premier lieu les conseillers de Pôle emploi, dont les métiers principaux sont l’indemnisation des chômeurs et leur placement dans le marché du travail. Si l’intégration des conseillers psychologues de l’AFPA à leurs effectifs a permis de faire progresser les thématiques orientation et formation dans l’institution, les conseillers ne maitrisent pas tous les outils et les circuits de financement de la formation professionnelle. Les conseillers s’y retrouvent difficilement, et cette illisibilité se retrouve dans l’information donnée aux chômeurs, notamment via le site internet de Pôle emploi. La simplification me semble nécessaire.
Voilà, j’ai essayé d’identifier les causes des emplois non pourvus, mais j’ai été incapable de connaitre la proportion de chacune d’entre elles dans ce chiffre des 400 000 postes non pourvus. Aujourd’hui, personne n’est en mesure de le dire précisément. Chacun a sa petite idée sur le sujet, des intuitions, parfois confrontées par une expérience locale. Mais personne ne dispose de chiffres, de statistiques permettant d’orienter les politiques publiques.
Cela signifie, que nous n’avons aucune idée du bien fondé et de la légitimité des moyens déployés pour la formation professionnelle vers ces postes. Celle-ci est un outil puissant de reconversion, d’acquisition et d’approfondissement des compétences, tout en étant un vecteur de développement personnel.
La formation permet aux chômeurs d’enrichir leurs savoir-faire et de proposer à leurs futurs employeurs des compétences en accord avec leurs besoins. Elle est, également, une occasion de s’orienter vers des métiers d’avenir, comme ceux favorisés par la transition énergétique, ou simplement un moyen de se réorienter vers des métiers plus adaptés aux désirs de chacun.
Mais la navigation à vue nous empêche d’avoir une vision à long-terme des causes et des conséquences.
Le gouvernement a lancé en juillet 2013 un plan « formations prioritaires pour l’emploi », en mettant 200 millions d’euros sur la table. L’objectif de délivrer 30 000 formations fin 2013 a été dépassé, puisque plus de 35 000 stagiaires étaient inscrits en décembre 2013. L’Etat a alors décidé de se fixer un nouvel objectif à 100 000 formations.
Mais en l’état, que sait-on de l’efficacité réelle de ces formations ? Les chômeurs vont-ils réellement intégrer les postes qu’ils visent ? Monsieur le ministre, je suis curieux de savoir comment vous jugerez de l’efficacité de votre plan en termes de résultats pour l’emploi et pas simplement en termes de formations délivrées.
Monsieur le ministre, ce qu’il manque réellement à nos politiques de formation vers les chômeurs, c’est un tableau de bord. Un outil de gestion précis, mobilisé par les pouvoirs publics nous permettant d’identifier précisément la cause de ces emplois non pourvus, avec des objectifs chiffrés et des moyens en adéquation.
Il nous faut une vision d’ensemble. Pour identifier les secteurs en tension, les leviers institutionnels à mobiliser, mais aussi les filières à soutenir.
Monsieur le ministre, quelles mesures comptez-vous prendre pour que ce tableau de bord voie le jour afin que nous puissions savoir si un poste n’est pas pourvu :
- Parce que l’activité économique ne le permet pas de mener à terme le recrutement,
- Parce que l’image d’un métier est mauvaise et qu’il faut l’améliorer,
- Parce que le salaire et les conditions de travail ne correspondent pas aux travailleurs
- Ou parce que les compétences ne sont pas en adéquation avec les postes et qu’il faut les améliorer avec la formation professionnelle
Je vous remercie.