Intervention de Jean Desessard en séance sur la proposition de loi visant à renforcer la responsabilité des maîtres d’ouvrage et des donneurs d’ordre dans le cadre de la sous-traitance et à lutter contre le dumping social et la concurrence déloyale – 6 mai 2014

Monsieur le président, monsieur le ministre, mes chers collègues,

 

La proposition de loi que nous examinons aujourd’hui prévoit un certain nombre de mesures pour lutter plus efficacement contre les abus dans le domaine du détachement des travailleurs.

Monsieur le ministre, je répéterai beaucoup de choses que vous avez vous-même déjà dites.

 

C’est donc qu’il y a une convergence entre nous, monsieur le ministre ! La France est un pays qui accueille de plus en plus de salariés détachés : ils étaient 38 000 en 2006, 106 000 en 2009, 210 000 en 2013. Les travailleurs détachés présents en France sont principalement originaires de la Pologne, du Portugal et de la Roumanie.

 

La durée de détachement totale a progressé d’un tiers entre 2012 et 2013, passant de 5,7 millions à 7,6 millions de jours en détachement. La durée moyenne du détachement est de 45 jours et les secteurs les plus concernés sont le BTP et les agences de travail temporaire.

Les travailleurs français sont également nombreux à être détachés. Ils étaient plus de 169 000 en 2011. Mon chiffre diffère du vôtre, monsieur le ministre, mais je suppose qu’il ne porte pas sur la même année ; vous disposez certainement de données plus récentes que moi. Les principaux pays d’accueil des salariés français détachés sont la Belgique, l’Allemagne et l’Italie.

 

Comme vous, monsieur le ministre, je considère que ce n’est pas le détachement en lui-même qui pose problème. Dans une Europe ouverte, les personnes doivent pouvoir circuler librement. Ce qui pose problème, ce sont les conditions dans lesquelles ces travailleurs sont accueillis et, à cet égard, les fraudes et les abus sont loin d’être négligeables.

 

En France, le taux de déclaration de détachement est compris entre 33 % et 50 % : c’est peu ! On estime que le nombre de détachements non déclarés, donc en situation irrégulière, oscille entre 200 000 et 300 000. Les conditions d’accueil et d’hébergement sont parfois indignes. Et je ne parlerai pas des rythmes de travail que certains employeurs infligent à ces travailleurs…

 

Ainsi, c’est de respect de la dignité humaine qu’il est question aujourd’hui. Le législateur doit mettre un terme aux conditions d’exploitation d’un autre âge auxquelles sont soumis certains travailleurs étrangers.

 

La présente proposition de loi définit dans cette optique une série de règles et de procédures visant à responsabiliser les entreprises ayant recours à des travailleurs détachés.

 

Je vais maintenant reprendre certaines de vos analyses, madame la rapporteur, mais c’est qu’elles portent sur des points importants. Ce faisant, je vais appliquer la « méthode du marteau », celle qui consiste à répéter pour bien enfoncer le clou !

 

Le cœur du dispositif est la responsabilité solidaire du donneur d’ordre. Celle-ci est étendue aux salaires, aux conditions de vie des travailleurs, aux libertés fondamentales et à tous les aspects du droit du travail. Les donneurs d’ordre devront également vérifier que leur prestataire a bien effectué les démarches de déclaration préalable de détachement.

 

C’est important, car il arrive qu’une petite société qui emploie des gens dans des conditions indignes n’ait plus d’existence au moment où on lui demande des comptes. Les donneurs d’ordre, en revanche, sont souvent de grandes sociétés ayant pignon sur rue ; ils peuvent donc rendre des comptes. C’est pourquoi cette disposition est fondamentale. Désormais, les entreprises qui auront recours à des travailleurs étrangers ne pourront plus dire qu’elles ne savaient pas. Elles seront tenues pour responsables et devront donc assurer des conditions d’accueil et de travail décentes à tous ceux qui, en fin de compte, œuvrent pour elles.

 

La liste noire prévue par la proposition de loi constitue également une avancée notable. Y seront inscrits les noms et coordonnées des prestataires de services condamnés pour des infractions constitutives de travail illégal.

 

Le rôle de la société civile est également accru puisque les syndicats pourront désormais attaquer des employeurs en justice, même, il faut le souligner, sans mandat du travailleur concerné. Il s’agit, là aussi, d’une avancée notable. En effet, lorsque des conditions de travail déplorables attirent l’attention des médias, des syndicats ou de l’administration, les travailleurs concernés sont souvent soumis à des pressions, voire à des menaces qui visent à leur faire garder le silence. Grâce à la mesure prévue par la proposition de loi, les principaux intéressés n’auront pas à se mettre en danger pour que leurs droits soient respectés.

 

Garantie des périodes de repos pour les conducteurs routiers, suspension des aides publiques en cas de condamnation, inscription des déclarations de recours aux travailleurs détachés dans le registre unique du personnel : toutes ces mesures vont dans le bon sens.

 

Je me permets maintenant d’élargir le débat. Si cette proposition de loi permet de lutter contre les fraudes et les abus constatés lors des détachements de travailleurs, qu’en est-il de la lutte contre la concurrence déloyale et le dumping social ? Nous nous efforçons de limiter les effets négatifs sans ouvrir le débat sur les causes. Or ce qui pousse aujourd’hui les employeurs à recourir à une main-d’œuvre bon marché – low cost, diront les anglicistes –, c’est la dérégulation forcenée du monde du travail qui touche actuellement tous les pays d’Europe, et en particulier les plus fragiles.

 

Une des raisons du recours massif au détachement réside dans les écarts importants qui subsistent entre les systèmes sociaux des différents pays européens. À titre d’exemple, pour les ouvriers peu qualifiés du BTP, les cotisations patronales s’élèvent à plus de 50 % en France, contre seulement 20 % en Pologne. Ces écarts très importants sont une source d’économies pour les employeurs, car les salariés sont affiliés au régime de sécurité sociale de leur pays d’origine. Certains pays deviennent ainsi de véritables aubaines pour les employeurs soucieux de réduire les coûts de personnel.

 

Le seul moyen d’enrayer ce phénomène est de procéder sans plus tarder à une coordination ou plutôt à une harmonisation des systèmes sociaux en Europe, afin de favoriser ou de sauvegarder la protection sociale sur notre continent. L’harmonisation doit s’accompagner de l’émergence d’une organisation européenne du travail et d’une coopération syndicale européenne, pour garantir efficacement la défense des travailleurs quel que soit leur pays d’origine.

 

Dans l’attente de ce débat, plus que jamais nécessaire à la veille des élections européennes, et considérant les avancées concrètes que contient la présente proposition de loi, les écologistes la voteront. Nous savons que l’Europe est notre horizon politique ; à nous de construire cette Europe sociale, cette Europe solidaire qui garantira la dignité de tous les travailleurs.

 

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