Monsieur le président, madame la ministre, mes chers collègues, le groupe UDI-UC nous propose aujourd’hui un débat sur l’épargne populaire. Il convient, tout d’abord, de définir ce que signifie cette expression. S’agit-il uniquement du livret d’épargne populaire, produit financier réglementé à l’usage des personnes ayant un revenu fiscal de référence inférieur à 19 140 euros pour une part de quotient familial, de l’ensemble des livrets d’épargne réglementés, qui comprend, outre le livret d’épargne populaire, le livret A et le livret de développement durable, ou encore de toute épargne qui serait « populaire » ?
J’ai noté que le député UDI Charles de Courson avait proposé, début février, une refonte de la fiscalisation des livrets d’épargne réglementée.
Mme Férat a cependant signalé que telle n’était pas sa position.
M. de Courson propose de soumettre les intérêts des livrets A et des livrets de développement durable à l’impôt sur le revenu au-delà d’un certain seuil qu’il conviendra de fixer ultérieurement. Son argument principal est que la défiscalisation des intérêts de ces livrets coûte cher dans un contexte de restriction budgétaire : 665 millions d’euros en 2013, selon ses estimations. Il affirme également qu’une fiscalisation de ces produits ne toucherait pas les plus modestes, qui sont exonérés de l’impôt sur le revenu. Il déclare enfin que l’exonération fiscale « favorise ceux qui bourrent ces livrets comme une façon de mieux rémunérer leur épargne liquide », remettant ainsi en cause le caractère « populaire » de cette épargne, ces produits étant principalement utilisés par des personnes aisées.
J’ai bien compris que telle n’était pas la position du groupe UDI-UC du Sénat.
Mme Férat a en effet défendu les livrets de l’épargne réglementée, qui, comme leur nom l’indique, sont réglementés, c’est-à-dire que la définition de leurs intérêts, leur collecte et l’utilisation de celle-ci sont de la responsabilité du secteur public. Ainsi, les banques reversent 65 % des sommes placées par leurs clients sur les livrets A et les LDD et 70 % de celles qui sont placées sur les livrets d’épargne populaire à un fonds d’épargne géré par la Caisse des dépôts et consignations. Les 35 % restants sont gérés par les banques, qui ont pour obligation de les employer pour le financement des PME et des opérations de rénovation énergétique des bâtiments anciens. Le respect de cette obligation est à vérifier…
Le fonds géré par la Caisse des dépôts et consignations a pour priorité de financer le développement de l’offre de logements sociaux et la politique de la ville. En 2012, cette manne financière a permis à la Caisse d’accorder 14,9 milliards d’euros de prêts. Durant cette même année, plus de 100 000 logements sociaux ont pu être acquis ou construits grâce au fonds d’épargne. En janvier 2013, le Gouvernement a décidé de doubler le plafond du livret A. Cet effort permettra de renforcer le soutien financier au logement social sur le long terme.
Les livrets d’épargne réglementée sont ainsi socialement utiles à notre pays. Il est évidemment possible de débattre de la légitimité d’une fiscalisation, car la fixation des plafonds à des niveaux élevés profite principalement aux plus aisés. Néanmoins, d’autres produits financiers mériteraient davantage notre attention : je veux parler des assurances vie.
Si les assurances vie peuvent être considérées comme des assurances pour les proches du souscripteur en cas de décès, elles sont avant tout des produits d’épargne très intéressants pour les assurés. Le montant total de l’encours des assurances vie témoigne de l’attractivité de ces produits : 1 400 milliards d’euros à la fin de 2012. On dépasse de loin les 385 milliards d’euros d’encours cumulés des livrets A, des LDD et des LEP à la même date.
Ces placements sont beaucoup plus rentables pour les épargnants que les livrets, même si l’écart tend à se réduire. En effet, si les assurances vie proposent un taux de rémunération d’environ 3 % en moyenne selon les placements, les taux des livrets se situent entre 1,25 % et 1,75 %.
Un des écueils majeurs de l’assurance vie est que, à la différence de ceux des livrets réglementés, ses encours ne sont pas fléchés par les pouvoirs publics. Elle n’a donc aucune utilité sociale puisque ses encours ne sont pas orientés vers des investissements choisis pour l’intérêt qu’ils présentent pour l’ensemble de la société.
Certes, depuis plusieurs années, les assurances vie proposent à leurs souscripteurs d’investir dans des fonds « ISR » – investissement socialement responsable –, dont les gérants tiennent compte de critères sociaux, environnementaux ou de gouvernance démocratique. Si l’émergence de ces pratiques est un point positif, il convient de rester lucide sur leur ampleur et leur impact réels. Le choix est laissé aux souscripteurs des assurances vie d’utiliser leurs fonds comme ils l’entendent, et les placements ISR ne se distinguent pas par une rentabilité financière supérieure. Ainsi, seulement 54,6 milliards d’euros ont été placés dans ces fonds en 2012 par les assureurs, selon une étude du cabinet Novethic publiée en avril 2013. De plus, il n’existe pas de cadre réglementaire définissant ces « bonnes pratiques ».
Si l’utilité sociale de l’assurance vie est plus que limitée, son régime fiscal est très avantageux, puisque les prélèvements sont uniquement effectués lors d’un mouvement de fonds : rachat total ou partiel, sortie en rente ou capital décès. Les gains sont imposés, mais uniquement au prorata des sommes retirées ; si l’on rachète 10 % du total du contrat, l’imposition ne portera que sur 10 % des intérêts produits depuis l’ouverture de ce dernier.
Pour toutes ces raisons, plutôt que de taxer les détenteurs de livrets, dont l’épargne profite à la société, il serait préférable de flécher les encours de l’assurance vie.
Au vu des sommes en jeu, l’effet de levier serait beaucoup plus important. Plutôt que de recourir à une fiscalisation qui abonderait le budget général de l’État, nous considérons qu’il serait plus judicieux d’opter pour un fléchage vers les secteurs de notre économie et de notre société qui ont besoin de financements et que nous souhaitons développer.
À titre d’exemple, à la fin de 2012, lors de la création de la Banque publique d’investissement, les écologistes faisaient la proposition suivante : flécher 3 % des encours de l’assurance vie vers la BPI, afin de doubler son capital, et donc sa capacité de financement. Il ne s’agit là que d’un exemple. On peut également penser au financement de la transition énergétique et écologique, qui a besoin d’un sérieux coup de pouce de la part des pouvoirs publics.
En conclusion, nous remercions le groupe UDl-UC de nous avoir proposé ce débat. Nous considérons qu’il faut inclure dans notre réflexion le fléchage des encours de l’assurance vie, pour un plus grand contrôle de l’utilisation des placements des Français, afin que ceux-ci soient mis au service de toute la société.
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