Monsieur le président, monsieur le ministre, monsieur le président de la commission, mes chers collègues,
Le commerce international des armes peut-il être laissé au jeu des raisons d’État et des intérêts prédateurs ? Voilà une question qui ne saurait faire débat.
Et pourtant, dix-sept ans se sont écoulés depuis l’appel lancé par le président costaricain et prix Nobel de la Paix Oscar Arias. Il a fallu tout l’engagement de nos ONG et de nos diplomates pour aboutir à ce traité qui comble un vide juridique aberrant.
Certains le soulignaient à juste titre, nous disposions de normes strictes en matière de vente de bananes « mais d’aucune règle internationale solide et juridiquement contraignante en ce qui concerne la vente d’armes ».
C’est pourquoi je tiens, au nom du groupe écologiste du Sénat, à rendre hommage à celles et ceux qui, chacun à son niveau, ont participé à cet indéniable progrès, pour la paix et l’effectivité du droit international.
Le traité sur le commerce des armes ne contient pas d’avancée normative majeure. Fruit d’un consensus large entre les nations, ce traité ne dispose d’aucune mesure de sanction. Il marque toutefois une avancée historique pour la responsabilisation des États. Les exportations d’armes ne peuvent plus être vues sous le seul aspect comptable et politicien. Ce message est d’ores et déjà porté par les législations française et européenne, et par les jurisprudences des cours et tribunaux internationaux qui vont tous dans le sens d’une responsabilisation accrue des acteurs étatiques.
Le chaos consécutif au dispersement des arsenaux libyens et la crise malienne qui s’est ensuivie auront achevé de nous convaincre des conséquences funestes des ventes d’armes irresponsables.
L’absence de régulation a jusqu’à présent nourri les conflits et ruiné les efforts de développement. Le continent africain en est le triste exemple : selon Oxfam international, « l’Afrique perd 18 milliards de dollars par an en raison de la violence armée, soit à peu près le montant annuel de l’aide au développement pour l’ensemble du continent ».
La généralisation des régimes juridiques nationaux de contrôle des exportations d’armes, y compris pour les armes légères et de petits calibres, apparaît alors comme une démarche de bon sens. C’est, selon les mots de Peter Maurer, président du Comité international de la Croix-Rouge, « une réponse louable compte tenu de la souffrance humaine généralisée qui résulte de la disponibilité non réglementée des armes ».
Cependant, comme cela a été dit – y compris par le rapporteur –, soyons conscients des limites de ce texte.
M. Jean Desessard. Merci de faire cette rectification en direct !
Je poursuis s’agissant des limites de ce texte. Seules les activités commerciales sont comprises par la notion de « transfert ». Les dons et les cessions en sont exclus.
Par ailleurs, la notion choisie de « risque prépondérant » laisse place à une très grande subjectivité dans l’appréciation de chaque situation.
Plus gênant, l’absence de dispositions concernant le financement de la conférence des États parties et du secrétariat dédié au traité interroge sur la volonté réelle des États dans ce domaine.
Enfin, cela a été dit, la non-signature de la Chine, de l’Inde, de l’Indonésie, de la Russie et les doutes sur la possibilité de la ratification du traité par le Sénat américain achèvent de tempérer les euphories.
Le chemin à parcourir pour la régulation de ce marché, qui participe à l’instabilité de régions entières, est encore long, et son terme ne peut être envisagé sans l’élaboration parallèle de réelles politiques de développement et de promotion de la résolution politique des conflits, dans le strict respect des normes de droit international.
L’efficacité des futures réglementations nationales sera en outre conditionnée par l’assistance financière et technique envers les États aux moyens réduits, sans quoi les promesses de ce traité resteront lettre morte.
C’est pour la France un impératif moral que de s’impliquer dans cette assistance et de clarifier les contours que celle-ci prendra.
L’administration américaine « estime que la corruption dans le commerce des armes représente près de la moitié de l’ensemble des transactions liées à la corruption dans le monde ». Ce constat ne peut manquer de résonner ici de manière particulière, alors que l’affaire Karachi, qui connaît ses derniers rebondissements, rappelle les conséquences néfastes de l’opacité de ce marché pour notre démocratie.
La recherche d’un consensus international large a pu justifier la minoration de certains points d’exigence. Cependant, elle n’empêche aucunement la France de poursuivre l’amélioration de sa législation. Comme le souligne l’Observatoire des armements, « s’il avait été en vigueur en 2011, [ce traité] n’aurait pas pu prévenir, par exemple, l’exportation du système d’espionnage par Amesys à la Libye de Kadhafi ».
Pour toutes ces raisons, le groupe écologiste du Sénat, s’il affirme son adhésion à ce traité, rappelle que celui-ci ne saurait marquer qu’une étape et qu’une partie de la solution aux problèmes posés par la circulation des armes. Mais notre groupe, conscient de l’avancée qu’il représente, votera ce texte.