Monsieur le président, madame la ministre, madame la présidente de la commission, mesdames, monsieur les rapporteurs, mes chers collègues,
Il n’y a pas si longtemps, en 2010, vous nous promettiez une loi qui devait résoudre les problèmes pour longtemps.
Nous avions prédit, pour notre part, qu’il faudrait remettre l’ouvrage sur le métier assez rapidement. C’est chose faite !
Nous avions donc dit, à l’époque, que la réforme n’allait pas résoudre tous les problèmes.
Le débat avait alors duré trois semaines, samedis et dimanches compris. J’avais même appris l’existence, grâce au sénateur Fischer, de la convention collective des ouvriers chapeliers, et de bien d’autres professions. Nous avions bénéficié d’une bonne formation sur les conditions de travail dans le monde ouvrier et sur l’état des droits à la retraite dans nombre de métiers…
La différence, cette fois, c’est que la réforme est proposée par un gouvernement de gauche, qui comprend des ministres écologistes. Cela se voit tout de suite !
J’en veux pour preuve l’affirmation, à l’article 1er, de notre attachement au système de retraite par répartition.
On croit généralement que le système de retraite par répartition est redistributif. Or ce n’est pas le cas, dans la mesure où les montants des pensions sont fixés en fonction des cotisations versées, un dispositif qui reproduit ainsi la hiérarchie des salaires : celui qui a beaucoup gagné et cotisé gagne encore beaucoup à la retraite.
À l’échelon individuel, le système n’est donc pas redistributif. Au niveau collectif, en revanche, il existe des correctifs : l’État compense les petites retraites et aide ceux qui, sans son intervention, ne toucheraient pas de pension. Surtout, le Parlement fixe la part du PIB consacrée aux retraites qui, en 2012, s’élevait à 14,4 %.
Plusieurs facteurs nous conduisent à nous interroger, aujourd’hui, s’agissant de la réforme des retraites.
L’augmentation de l’espérance de vie est le principal argument avancé.
Certes, l’espérance de vie après 60 ans est passée de dix-sept à vingt-cinq ans entre 1950 et 2012. Cette augmentation devrait néanmoins peu à peu s’amoindrir, eu égard aux limites biologiques.
Selon nous, écologistes, il n’est pas certain, compte tenu du mode de vie actuel, de la mauvaise alimentation et de l’ensemble des pollutions que nous subissons et qui favorisent l’augmentation des cancers, que cette espérance de vie continue à augmenter. Au contraire, on peut s’attendre, dans les années qui viennent, à une inversion de tendance. Nous en reparlerons…
Les prédictions de l’INSEE et du Conseil d’orientation des retraites prévoient ainsi un allongement d’un an seulement par décennie dès aujourd’hui.
Les calculs des écologistes sont encore plus pessimistes.
L’impact financier est également limité. Selon une étude de la CNAV, la Caisse nationale d’assurance vieillesse, l’effort financier sur les retraites du régime général s’élèvera en 2017 à 17,1 milliards d’euros, sur lesquels – les chiffres deviennent alors intéressants ! – 11,8 milliards d’euros sont liés au papy-boom et 3,4 milliards d’euros aux retraites anticipées ; seul 1,9 milliard d’euros pourra être imputé aux gains d’espérance de vie, soit un peu plus de 10 %.
Le facteur déterminant pour les retraites, ce n’est donc pas l’espérance de vie, mais le papy-boom !
Non, c’est une question de démographie ! L’espérance de vie, cela signifie que chacun d’entre nous vit plus longtemps. Quant au papy-boom, il désigne le nombre important de personnes qui partent à la retraite.
À l’heure actuelle, en effet, 800 000 personnes font valoir leur droit à la retraite chaque année, contre seulement 500 000 en 2001
Ce problème avait été anticipé de longue date par le gouvernement de Lionel Jospin qui, s’inspirant de mesures similaires instaurées en Suède, en Espagne ou au Japon, avait mis en place un organisme dédié à cet effet : le Fonds de réserve pour les retraites, le FRR, destiné à accumuler des fonds jusqu’en 2020 pour faire face au déséquilibre démographique.
Mais ce fonds n’a pas été correctement doté. En 2010 – vous savez qui était alors au pouvoir ! –, le montant des actifs s’élevait à 33 milliards d’euros, soit seulement 10 % de l’objectif initial à l’horizon 2020, fixé à 300 milliards d’euros.
De plus, le précédent gouvernement a fait le choix de ponctionner ces réserves pour alimenter la Caisse d’amortissement de la dette sociale, la CADES, bouleversant ainsi le calendrier prévu de près de dix ans.
On l’avait pourtant prédit, mais on n’en a pas tenu compte !
Selon un rapport du COR, si la part des personnes âgées de plus de 60 ans dans la population totale passe de 23 % en 2010 à 31 % en 2035, ce pourcentage devrait sensiblement rester le même jusqu’en 2060. Autant dire qu’une fois passée une période difficile, on y verra clair plus tard …
Entre 1960 et 2000, la productivité horaire a été multipliée par trois. Cette tendance se poursuivra à l’avenir avec les nouvelles technologies, comme la robotique pour le secteur secondaire.
Enfin, soyons positifs : la retraite ne peut plus être considérée comme une période d’inactivité. Les seniors consomment…et participent donc à l’économie. Si l’on réduit le montant de leur pension, c’est autant d’argent en moins qui circulera.
Certes, l’argent des seniors qui passent six mois à l’île Maurice, au Portugal ou au Maroc ne profite guère à la vie économique de l’Hexagone
Peut-être faudrait-il, d’ailleurs, se pencher sur cette question…
Exception faite de ces cas, les seniors, je le répète, consomment, travaillent, aident, participent à l’économie. Souvent, aussi, ils exercent des activités bénévoles, importantes et même nécessaires, qui contribuent à la citoyenneté.
Ce qui pèse le plus aujourd’hui sur le déficit de notre système de retraite par répartition, vous le savez, mes chers collègues, ce sont le chômageet une croissance quasiment inexistante.
Je ne reprendrai pas les termes de l’excellent plaidoyer du groupe CRC. Augmentation de 10 points de la rémunération du capital, 30 milliards d’euros d’exonération de cotisations sociales : corriger toutes ces mesures permettrait de financer les retraites sans que l’on ait besoin d’aller chercher l’argent ailleurs, en particulier en diminuant le montant des petites pensions.
Cela étant, notre système de retraite par répartition recèle plusieurs dysfonctionnements et inégalités qu’il nous faut combattre dès aujourd’hui.
Notre collègue Laurence Rossignol l’a très bien expliqué, les femmes sont victimes, du point de vue des droits à la retraite, d’une véritable discrimination. En effet, la retraite moyenne qu’elles perçoivent s’élève à 72 % de celle qui est touchée par les hommes.
Si l’on se penche sur les retraites complémentaires, les chiffres sont encore plus alarmants : pour le régime ARRCO, la pension moyenne des femmes représente 58 % de celle des hommes, et pour le régime AGIRC, seulement 40 %. Nous devons lutter contre cette discrimination.
De plus, notre mode de calcul des retraites laisse peu de place à une réelle prise en compte de la précarité. Sont en effet validés autant de trimestres que le salaire annuel représente de fois 200 heures rémunérées au SMIC. Cette disposition ne permet pas aux assurés exerçant une activité à temps très partiel, à faible durée de travail ou à faible revenu de valider quatre trimestres dans l’année. Or nous savons que la précarité augmente.
Enfin, le système de retraites français est d’une complexité rare : il existe plus de 600 régimes de base et 6 000 régimes complémentaires. L’évolution du marché de l’emploi et la fin des carrières uniques nous incitent à réfléchir à des mesures de convergence entre les régimes, pour que la diversité et la richesse des parcours ne soient plus un obstacle.
Pour ce qui concerne l’article 2, nous considérons, madame la ministre, que la mesure qu’il comporte est inadaptée et injustifiée.
Comment expliquer aux jeunes d’aujourd’hui qu’ils vont devoir travailler jusqu’à 67 ans s’ils ont fait des études, alors que leurs aînés pourront se retirer du marché du travail à 62 ans ?
Les jeunes âgés de moins de 25 ans connaissent actuellement un taux de chômage de 24 % tandis que celui des seniors s’établit à plus de 7 % et que les personnes âgées de plus de 50 ans représentent environ 30 % du total des chômeurs de longue durée. Si des emplois existent, pourquoi ne pas les proposer à ceux qui sont aujourd’hui au chômage, c’est-à-dire les jeunes et les seniors ?
Les écologistes estiment que le travail doit faire l’objet d’un réel partage. Nous ne pouvons construire un modèle durable pour notre système de retraites en continuant à nous accrocher à l’illusion d’une croissance forte et infinie. Nous devons amorcer la transition de notre économie, pour ne pas épuiser la totalité de nos ressources en cherchant à produire toujours plus. Nos gains de productivité nous permettent d’envisager non seulement le « vivre mieux », mais aussi le « travailler mieux ». Ces objectifs devraient être partagés par tous, car ils constituent la véritable urgence. Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous vous proposerons la suppression l’article 2.
Quant à l’article 4, il comporte l’une des mesures de financement qui devrait rapporter près de 1 milliard d’euros jusqu’en 2020. Malheureusement, l’effort demandé sera également supporté par les personnes les plus fragiles financièrement.
En effet, il est prévu de reporter la revalorisation des pensions de retraite, hors minimum vieillesse, du 1er avril au 1er octobre de chaque année. Les personnes qui relèvent de l’allocation de solidarité aux personnes âgées sont exclues de ce dispositif, ce dont nous nous réjouissons. Néanmoins, nous ne considérons pas qu’une personne retraitée qui touche un peu plus de 787,26 euros par mois puisse être considérée comme suffisamment aisée pour supporter un décalage de six mois en matière de revalorisation de sa pension de retraite.
Par conséquent, nous proposerons la suppression de cet article.
Malheureusement, il me reste peu de temps pour parler des points positifs du projet de loi que nous examinons, en particulier de la prise en compte de la pénibilité.
En conclusion, et vous l’avez indiqué, madame la ministre, les réalités de l’après-guerre ne sont plus celles d’aujourd’hui.
Nous partageons ce diagnostic : l’après-guerre était une période de reconstruction et de développement des techniques et visait le plein-emploi. Aujourd’hui, tout en connaissant des secteurs ou des périodes de surproduction, nous sommes à la limite de la récession, en situation de chômage massif et de montée de la précarité. De ce fait, le système de retraite par répartition doit être repensé.
Le présent projet de loi constitue une réponse urgente, qui applique la vieille recette de l’allongement des années de cotisation. Nous ne pensons pas qu’il s’agisse d’une solution pérenne. Face à un chômage massif, la solidarité passe d’abord par un emploi pour tous, et non par plus de travail pour certains et la relégation dans la précarité pour les autres.
Lors de l’examen de ce texte, nous n’échapperons pas au débat sur le projet de société que nous souhaitons.