Nous voilà réunis en urgence pour examiner une proposition de loi visant à modifier certaines dispositions issues de la loi du 5 juillet 2011 relative aux droits et à la protection des personnes faisant l’objet de soins psychiatriques et aux modalités de leur prise en charge. Ce texte de 2011, nous sommes nombreux au sein de la commission des affaires sociales à en garder un souvenir amer.
A l’occasion de son examen lors de la séance du 10 mai 2011, dans ce même hémicycle, j’avais dénoncé un texte qui privilégiait le sécuritaire au détriment du sanitaire.
J’avais également reproché au gouvernement de l’époque, représenté par Norra Berra, secrétaire d’État chargée de la Santé, de ne pas se soucier de la manière dont la loi serait appliquée, et encore moins de chercher à améliorer la situation de ceux qui auraient à en subir les effets, tant il était flagrant que le projet de loi ne prévoyait pas de moyens adéquats.
La vraie histoire de la loi du 5 juillet 2011, nous la connaissons :
C’était celle d’un projet de loi d’affichage ;
Celle d’un fait divers dramatique à Grenoble dont s’était emparé le chef de l’État dans son tristement célèbre « discours d’Antony » en décembre 2008 pour mieux entretenir une logique sécuritaire et répressive des politiques publiques ;
Celle d’un texte qui se préoccupe peu des conditions d’accueil des malades, de la formation des professionnels et des moyens de la psychiatrie ;
Celle d’une conception étriquée de la psychiatrie qui désigne l’obligation de soins comme la seule réponse efficace et le médicament comme seul soin fiable ;
L’idée de ce texte n’était pas de garantir la sûreté des malades mais celle des non-malades. Quitte à attiser la peur du malade et à rendre encore plus difficile le travail des équipes médicales et des magistrats.
Des mois plus tard, le juge constitutionnel a parlé.
Saisi par le Conseil d’État d’une question prioritaire de constitutionnalité – la quatrième en matière de soins psychiatriques sous contrainte en moins de deux ans –il a déclaré contraires à la constitution deux dispositions du code de la santé publique introduites par la loi du 5 juillet 2011 et qui concernaient le régime dérogatoire applicable à la sortie des personnes ayant séjourné en UMD (unité pour malades difficiles) ou déclarées pénalement irresponsables.
Soyons clairs. Ce n’est pas le principe d’un régime plus strict de soins sans consentement pour certaines personnes, en l’occurrence celles ayant séjourné en UMD ou déclarées pénalement irresponsables, que le Conseil Constitutionnel a remis en cause.
C’est le fait qu’il ne peut incomber qu’à la loi d’encadrer la mise en œuvre de ce régime particulier en prévoyant les garanties permettant de prévenir tout risque d’arbitraire.
Car la privation de liberté est quelque chose d’extrêmement sérieux. Et qu’en cette matière, seul le législateur est donc compétent pour préciser davantage les conditions de mise en œuvre de ce régime de soins sans consentement.
L’existence de la proposition de loi dont nous discutons aujourd’hui au Sénat est, pour toutes ces raisons, une excellente chose.
Elle permet au législateur de prendre acte de la décision du Conseil Constitutionnel et de répondre aux dispositions jugées inconstitutionnelles.
Elle est également l’occasion de prendre en compte un certain nombre d’imperfections que deux années d’application de la loi du 5 juillet 2011 ont pu faire apparaître.
Mais une chose me préoccupe particulièrement : c’est la précipitation dans laquelle ce texte est étudié et qui ne nous laisse finalement que très peu l’occasion de vraiment débattre de ce sujet de privation de liberté dont le Conseil Constitutionnel nous a justement dit qu’il était indispensable que nous nous y attardions. Projet de loi inscrit tardivement dans la session extraordinaire de juillet à l’Assemblée Nationale ; Étude rapide dans les derniers jours de la session de juillet alors que le Conseil Constitutionnel nous avait donné 18 mois pour réfléchir à la question ; Arrivée précipitée au Sénat, sans même que le texte ne figure dans le premier décret de convocation de la session extraordinaire de septembre ; Cette précipitation me paraît antithétique de la volonté du Conseil Constitutionnel. Prévenir ces risques d’arbitraire aurait mérité plus de sérénité dans notre travail parlementaire. Et les conditions d’examen de ce texte ne peuvent nous satisfaire.
- Il réintroduit notamment la possibilité de sorties de courte durée supprimée par la loi de 2011 ;
- Il propose des modalités d’organisation des audiences plus adaptées aux personnes souffrant de troubles mentaux ;
- Il propose que les UHSA (unités hospitalières spécialement aménagées) ne soient plus réservées aux détenus sous régime de l’hospitalisation sous contrainte, mais qu’elles puissent également accueillir des détenus atteints de troubles psychiatriques qui consentiraient à ses soins ;
- Il revient sur l’emploi trop fréquent de la visioconférence, pour l’ audience réglementaire avec le juge des libertés et de la détention ;
- Et enfin, grâce à un amendement de mes collègues députés écologistes, il permet aux députés, sénateurs et représentants français au Parlement européen de pouvoir visiter tout établissement de santé habilité à recevoir des patients hospitalisés sans leur consentement, comme ils en ont d’ores et déjà la possibilité pour les établissements pénitentiaires, les locaux de garde à vue, les centres de rétention ou encore les zones d’attente. Ce droit est un moyen important d’information et de contrôle par les parlementaires des lieux de privation de liberté.
Mes collègues et moi tenons également à féliciter notre rapporteur Jacky Le Menn qui, dans des délais extrêmement contraints, n’a pas renoncé à mener une large concertation avec les acteurs concernés par ce texte. Il en est ressorti 19 amendements courageux dont nous partageons totalement l’esprit et les valeurs. Du renforcement de la dimension médicale des soins sans consentement à la suppression de la possibilité de visioconférence en passant par la restriction des pouvoirs du préfet et la suppression du double avis de sortie, soyez assuré cher collègue de notre soutien le plus total.
Notre groupe a de surcroît décidé d’amplifier la logique qui a prévalu aux 19 amendements du rapporteurs adoptés en commission, en en déposant deux supplémentaires en séance. Ces deux amendements portent sur le contrôle du juge, dans l’optique de garantir un meilleur respect des droits des patients. Le rapport écrit par Denys Robillard à l’Assemblée nationale nous rapporte les déclarations unanimes et réitérées des psychiatres qu’il a entendus au cours de ses auditions, pour rappeler qu’ils sont en mesure de déterminer dans les 72 heures de l’hospitalisation sous contrainte si son maintien est ou non nécessaire. Or la loi du 5 juillet 2011, si elle instaure un contrôle systématique des mesures de soins sous forme d’hospitalisation complète par le juge des libertés et de la détention, fixe des délais très larges : dans les 15 jours suivant l’admission ou la réadmission en soins (en cas d’échec du programme de soins) puis tous les six mois. La proposition de loi, au moment de son dépôt, prétendait ramener ce délai de 15 jours à 10 jours, mais ce point a été amendé de manière à être fixé à 12 jours au cours de l’examen du texte en séance. Ce délai nous paraît encore trop long et, suivant les recommandations du rapport de la mission d’information de l’assemblée nationale sur la santé mentale et de l’avenir de la psychiatrie, le groupe écologiste propose de le ramener à 5 jours. On aurait ainsi une véritable judiciarisation ab initio, permettant au juge des libertés et de la détention de ne pas prolonger l’hospitalisation sans consentement de personne qui n’auraient rien à y faire. Dans le même état d’esprit, un second amendement visera à ramener le délai entre la première et la deuxième décision du juge des libertés et de la détention de 6 à 4 mois. Le délai de 6 mois pour le contrôle du juge entre les deux premières décisions nous semble en effet trop long concernant une mesure privative de liberté.
Je ne serai pas plus long. J’espère que malgré les délais restreints nous pourrons avoir un débat à la hauteur des enjeux que posent les soins sous contrainte, à la croisée de trois exigences qui nous sont dictées par les valeurs de la République et l’intérêt général : la santé des malades, le respect des libertés publiques et la sécurité publique.