Questions cribles thématiques sur l’avenir des retraites à Madame Marisol Touraine, Ministre des affaires sociales et de la santé – 13 juin 2013
Voir pour la vidéo (6 mn)
« Quand on vit plus longtemps, on peut travailler plus longtemps » : cette petite musique, qu’on entend de plus en plus régulièrement, s’installe dans les discours. Cependant, pour qu’une telle solution soit seulement envisageable, encore faudrait-il qu’il y ait du travail !
Or « la France se distingue par un “ décrochage ” particulièrement marqué de la participation au marché du travail à partir de 55 ans ». Cette phrase est extraite d’un rapport de l’INSEE intitulé Emploi et salaires 2013, paru le 6 mars dernier. Avec un taux d’emploi de 39 % chez les seniors, la France se place derrière l’Espagne, le Portugal et même la Grèce.
Une première question se pose alors : les seniors peuvent-ils travailler plus longtemps alors que leur taux de chômage s’élève à 60 % ?
Chez les jeunes, le taux de chômage dépasse, quant à lui, 25 %. Pour quelles raisons les seniors trouveraient-ils un emploi plus facilement que les jeunes ? S’il n’y a pas assez de travail, faisons travailler en priorité les jeunes !
Allonger la durée de cotisation sans résoudre ce problème aura pour seul effet de réduire les pensions de retraite de gens qui n’arriveront pas à cotiser pendant suffisamment d’années pour financer leur retraite.
L’augmentation de la durée de cotisation contribuera donc, dans l’état actuel du marché du travail, à faire baisser les cotisations de ceux qui n’ont plus d’emploi après 55 ans et à repousser le versement des allocations à ceux qui ont un emploi, permettant de réaliser une économie. Mais les jeunes auront-ils pour autant du travail ?
Mme Marisol Touraine, ministre: Monsieur le sénateur, l’espérance de vie est un élément que nous ne pouvons pas méconnaître. Comme l’a indiqué précédemment M. Watrin, nous ne devons pas négliger le fait que cette espérance de vie n’est pas la même selon les catégories socioprofessionnelles. À 35 ans, l’espérance de vie d’un ouvrier est inférieure de cinq à six ans à celle d’un cadre du même âge. Et au regard de l’espérance de vie en bonne santé, l’écart est encore plus important.
Nous devons donc veiller à ce que les conditions de travail, la pénibilité ou l’âge d’entrée dans la vie professionnelle soient pris en compte dans la manière dont nous concevons nos régimes de retraite.
Il reste que, dans l’ensemble de la population, nous vivons plus longtemps et que la question du temps de vie consacré au travail est posée. Dès lors que l’on vit plus longtemps, il paraît juste de travailler plus longtemps. Mais encore faut-il, comme vous l’avez dit, monsieur Desessard, que le travail soit possible : nous ne pouvons pas nous contenter d’un transfert de la charge financière vers l’UNEDIC et les allocations de chômage.
Permettez-moi de vous faire observer que le taux d’emploi des plus de 55 ans a augmenté significativement au cours des dernières années. Par ailleurs, il va de soi qu’une réforme des retraites doit être accompagnée de mesures fortes en faveur de l’emploi, plus particulièrement de l’emploi des seniors. Le Gouvernement a d’ores et déjà commencé à y travailler, indépendamment de la question des retraites, en mettant en place les contrats de génération, qui ont précisément pour objet de maintenir des seniors dans l’emploi.
Nous devons également nous inspirer des mesures prises dans les pays d’Europe du Nord pour renforcer le taux d’emploi des seniors. À l’évidence, la réforme des retraites et la politique de l’emploi sont indissociablement liées. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste.)
M. Jean Desessard: Je ne peux qu’approuver la conclusion de Mme la ministre : l’emploi et les retraites sont très liés puisque les cotisations de retraite sont assises sur les salaires. Si tout le monde a un emploi, il y a évidemment plus de cotisations !
Pour revenir sur la question de l’allongement de la durée de cotisation, madame la ministre, j’émets de vives réserves si cette mesure s’applique à tout le monde ! Vous avez d’ailleurs vous-même bien décrit le problème.
La concurrence effrénée entre les pays et l’application des recettes issues de la mondialisation n’aboutissent bien souvent qu’à une seule chose : la casse des acquis sociaux, obtenus après des combats menés par des générations de travailleurs, qu’il s’agisse du temps de travail hebdomadaire ou de l’âge légal de départ à la retraite. Ces mesures ont d’ailleurs été votées sous des gouvernements de gauche !
Les effets de cette casse peuvent être dramatiques : en 2008, une étude de l’Organisation mondiale de la santé sur les liens entre déterminants sociaux et espérance de vie a ainsi démontré que, dans une ville comme Glasgow, en Écosse, l’espérance de vie dans les quartiers les plus pauvres s’établit désormais à 54 ans, alors qu’elle s’élève à 82 ans dans les quartiers les plus riches. On voit donc bien l’aggravation des inégalités qui résulterait d’un allongement uniforme de la durée de cotisation…
Madame la ministre, je vous donne rendez-vous à l’automne pour débattre de cette question de manière plus approfondie. Croyez bien que nous serons très attentifs aux mesures que vous prendrez en faveur de l’emploi, en particulier celui des jeunes.