Jean Desessard est intervenu lors de la discussion générale.
Monsieur le Président, Madame la Ministre, Monsieur le Rapporteur, Madame la Présidente de la Commission, chers collègues,
A l’occasion de cette seconde lecture, j’aimerais évoquer la situation de la psychiatrie dans notre pays.
Les moyens consacrés à la psychiatrie ne cessent de baisser depuis vingt ans. Le nombre de lits en psychiatrie en France a ainsi diminué de 43 % entre 1989 et 2000. Alors que les besoins, eux, vont croissant.
Les fortes disparités démographiques de la répartition des psychiatres, le manque d’attrait de la profession de psychiatre des hôpitaux pour les étudiants en médecine, le manque de recrutement des infirmiers en psychiatrie ne peuvent qu’aggraver les difficultés de prévention et de prise en charge des malades.
La psychiatrie est en crise, les professionnels le répètent continuellement.
J’ai eu l’occasion de rencontrer des professionnels, comme le Dr Halimi, Président de la Conférence des Présidents de CME, et des usagers, comme Mme Claude Finkelstein, présidente de la FNAPSY. J’ai également reçu le « Collectif Psychiatrie ». Tous sont d’accord sur la nécessité d’une réforme, mais pas n’importe laquelle. Et ils ont d’ailleurs des propositions à faire.
Malheureusement, les engagements et les mesures d’urgence formulés lors des Etats généraux de la psychiatrie (2003) n’ont pas été retenus par le Gouvernement dans ce projet de loi.
Je pense, par exemple, à des engagements tels que « Maintenir le secret médical en dépit des pressions administratives», « Sauvegarder l’indépendance professionnelle indispensable à la qualité des soins » ou encore « Soutenir les intérêts des patients contre toute contrainte extérieure. ».
Quant aux mesures d’urgence demandées, elles ne vous ont pas non plus inspirée, Madame la Ministre : « Formation massive et urgente d’infirmiers afin de faire face aux besoins. », « Augmentation du nombre de lits et développement de structures extrahospitalières. », « Garantir des conditions d’accueil et d’hospitalisation décentes. »…
Vos préoccupations sont bien éloignées des attentes des professionnels et des usagers.
Pire, parce que la situation s’aggrave, l’hospitalisation sans consentement est détournée de son but premier, pour pallier des lacunes plus générales : des malades qui souhaiteraient se faire hospitaliser librement ont parfois recours à l’hospitalisation à la demande d’un tiers, car c’est le seul moyen d’avoir une place à l’hôpital (et pendant ce temps-là, un malade qui avait peut être encore besoin de soin est prié de quitter l’établissement), on hospitalise en psychiatrie une personne sur motif de trouble à l’ordre public parce que l’élu municipal est le seul à se mobiliser, dans l’urgence faute de médecin disponible pour signer un certificat…
Bref, la psychiatrie doit assumer des dysfonctionnements sociaux d’une ampleur toute autre.
Car il ne faut pas nier les aspects sociaux : Franco Basaglia, psychologue italien de renom, avait pour habitude de poser à ses patients les questions suivantes « avez vous un logement ? Vos ressources sont-elles suffisantes ? Vos liens sociaux sont-ils solides ? » avant de s’intéresser à leur vie psychique. Répondre aux troubles psychiques en délaissant les troubles sociaux n’aurait eu aucun effet. D’autant plus que les chiffres montrent que les malades en hospitalisation sous contrainte sont généralement plus précaires et plus isolés socialement que ceux en hospitalisation libre.
Comment répondre aux besoins sociaux et psychiques, quand les professionnels doivent faire face à un déficit d’offre de soin, de prévention, de suivi, et d’accessibilité des structures de soin…
C’est d’une loi globale de psychiatrie et de santé dont notre pays a besoin.
Vous l’avez compris, la situation globale m’interpelle davantage que les rares moments de violence de certains malades qui traversent des périodes critiques de l’évolution de leur pathologie. C’est pourtant votre priorité.
Parlons donc de votre projet.
Pourquoi élaborer un projet de loi sans concertation avec les acteurs du secteur ? Vous avez réussi à faire l’unanimité contre vous, Madame la Ministre !
Comment et pourquoi vouloir obliger quelqu’un à se soigner ? Et d’ailleurs, comment obliger les professionnels à prodiguer de tels soins ?
L’objectif devrait être inverse : alléger la contrainte et favoriser l’adhésion aux soins, ce qui serait de loin la situation la plus profitable, pour les soignés comme pour les soignants.
Pourquoi proposer une réforme dont l’enjeu principal est de réduire un risque de dangerosité qui n’est présenté que par un petit nombre de malades et seulement à certains moments de leur vie, alors même qu’elle concernera bien au-delà d’eux un très grand nombre de personnes prises en charge ?
Enfin, pourquoi s’entêter à prendre des mesures toujours plus liberticides, alors que le Conseil Constitutionnel a jugé bon de censurer deux articles (les articles L3213-1, L3213-4) concernant l’hospitalisation d’office, considérant qu’ils méconnaissaient le respect de la liberté individuelle garantie par l’article 66 de la Constitution.
Les besoins sanitaires sont immenses, et vous n’avez qu’une idée fixe, toujours plus de sécuritaire !
Les Sénatrices et Sénateur écologistes voteront contre ce texte.