Mardi 10 mai, le Sénat examinait le projet de loi relatif aux soins psychiatriques sous contrainte.
Voici le verbatim de l’intervention Jean Desessard lors de la discussion générale. Jean Desessard était également présent lors du rassemblement organisé par le Collectif 39 devant le Palais du Luxembourg.
Intervention de Jean Desessard lors de la discussion générale
Monsieur le Président, Madame et Messieurs les Ministres, Monsieur le Rapporteur, Madame la Présidente de la Commission, chers collègues,
Nous sommes face à un projet de loi qui privilégie le sécuritaire face au sanitaire.
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Ce qui nous divise profondément dans l’approche de ce sujet, Madame et Messieurs les Ministres, c’est notre conception de la folie.
Faut-il avoir peur des fous ? Faut-il punir ou guérir ? Et comment guérir ? Par la parole ? Par la seringue ?
Votre projet de loi s’inspire d’une vieille représentation populaire, celle du fou dangereux, du fou errant… elle ne s’intéresse pas à la souffrance psychique de milliers de Français.
Cette loi ne s’appuie en rien sur la réalité clinique du soin en psychiatrie.
Une fois de plus, votre souci n’est pas que la loi soit appliquée (sinon vous auriez prévu davantage de moyens), encore moins pour améliorer la situation de ceux qui auront à en subir les effets. Cette loi ne sert qu’à afficher la force de l’Etat-gendarme. C’est aux plus faibles qu’il faut s’attaquer si on veut être certain du résultat.
Au passage, cette loi dénigre un autre corps professionnel, après les policiers, les enseignants, les chercheurs, les magistrats, les personnels hospitaliers…
Était-ce si compliqué de s’appuyer sur les avis des psychiatres quand on prétend réformer la psychiatrie ?
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Le Chef de l’Etat et le Gouvernement se sont emparés du sensationnel, un fait divers dramatique, pour mieux entretenir une logique sécuritaire et répressive des politiques publiques.
Dans cette loi, on se préoccupe peu des conditions d’accueil des malades, de la formation pour les professionnels, et encore moins des budgets pour l’ensemble de la psychiatrie. Un véritable projet de loi sur l’organisation de la santé mentale défendrait le secteur. Ce n’est pas le cas ici.
En filigrane, on retrouve votre refus de la prise en considération des problèmes sociaux des patients, l’obligation de soins désignée comme la seule réponse efficace et le médicament comme seul soin fiable.
L’idée de ce texte, ce n’est pas de garantir la sureté des malades mais celle des non malades.
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Que va-t-il se passer si la question du trouble à l’ordre public prédomine sur la préoccupation de la qualité des soins ? Si au lieu de traiter des 82% des malades qui choisissent l’hospitalisation libre, on préfère se concentrer sur la minorité qui est hospitalisée sous contrainte ?
Selon vous, il est préférable d’enfermer un malade – même s’il n’est pas dangereux – plutôt que de courir un risque à l’extérieur. Or vu le manque de moyens, on ne peut pas enfermer tout le monde à l’hôpital psychiatrique donc on va enfermer les gens chez eux.
Vous allez tenter d’imposer un contrôle social généralisé de la normalité des comportements, sans même vous poser la question de l’applicabilité d’un tel objectif.
Ce que propose ce projet de loi, c’est la rupture du lien entre le soignant, le soigné et son entourage, en mettant en place une défiance généralisée, sans s’appuyer sur la compétence des équipes soignantes.
Un véritable dialogue doit aboutir à des décisions de soin prises ensemble, et pas contre la volonté du patient.
Vous vous en remettez au pouvoir de la chimie, des injections, au détriment de la thérapie par la parole.
Ce texte va produire l’inverse de l’effet escompté.
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Alors qu’aurions nous souhaité, nous qui attendons depuis presque quinze ans la modernisation de la loi de 1990 ?
Premièrement un bilan de cette loi, qui permettrait un recul critique, un progrès. Nous souhaitons également que les 22 mesures d’urgence réclamées par Etats Généraux de la psychiatrie de 2003 soient prises en compte.
Les écologistes, avec d’autres, souhaitent ouvrir les hôpitaux à la cité, en mettant en place des structures ouvertes, plus diverses et qui communiquent avec l’extérieur, en améliorant l’offre d’hôpitaux de jour, de structures alternatives comme les appartements thérapeutiques, en autorisant davantage de sorties d’essai.
Il faut aussi rendre l’hôpital plus attractif pour les jeunes diplômés, et améliorer la formation, car le besoin de personnel soignant est cruel.
Enfin, il faut impérativement favoriser l’hospitalisation libre.
La contrainte ne doit pas être systématisée. En 2009, le Gouvernement a alloué 70 millions d’euros aux hôpitaux psychiatriques. Ils ont servi à mettre plus de barreaux aux fenêtres, de caméras de surveillance…
Pire, interdiction a été donnée aux directeurs d’hôpitaux d’utiliser ces moyens pour d’autres objectifs. Alors que depuis 10 ans, 50 000 lits ont été supprimés.
Vous l’aurez compris, nous ne sommes pas de ceux qui veulent faire des économies de moyens et n’apporter que le médicament et la contention comme réponses aux patients.
A l’heure actuelle, les hôpitaux fonctionnent à flux tendus. Alors que certaines personnes voudraient être hospitalisées librement, faute de place, elles passent par des hospitalisations à la demande de tiers. Le directeur d’établissement est alors contraint de faire sortir un patient qui peut encore avoir besoin de soins pour en laisser rentrer un autre. C’est insupportable.
Alors avec le Contrôleur général des lieux de privation de liberté, « Nous disons que tout cela est insupportable ». Car la logique de l’enfermement tire tout le monde vers le bas.
Les Sénatrices et sénateurs Europe Ecologie Les Verts sont indignés par ce texte.
A vous embourber dans le tout sécuritaire, à persévérer dans le fantasme du risque zéro, vous ne réglerez rien, aller attiser la peur du malade, et rendre encore plus difficile le travail des équipes médicales et des magistrats.
Je vous rappelle que la liberté aussi est thérapeutique.