PLANETE – La biodiversité guyanaise peut encore être sauvée si la lutte contre la biopiraterie s’organise…
Produits de beauté au cacao de Guyane ou médicaments contre la bronchite au géranium d’Afrique du Sud: les recettes traditionnelles des populations autochtones ont mis des millénaires a être élaborées et se trouvent en quelques mois brevetées et détenues par des multinationales de la cosmétique, de l’agro-alimentaire ou de la pharmacie.
La Guyane, département d’Outre-Mer français, est elle aussi soumise aux convoitises des industriels. Pour élaborer des armes efficaces contre la biopiraterie, les sénateurs Verts Jean Desessard et Marie-Christine Blandin ont réuni lundi au Sénat les représentants des populations locales et des associations, une semaine après la clôture du sommet de Nagoya qui a abouti à la signature d’une convention sur l’accès et le partage des bénéfices tirés des ressources génétiques (protocole ABS).
«Allez traduire «développement durable» en Wayana»
La «biopiraterie» est souvent un affrontement Nord/Sud avec des armes inégales: d’un côté, des cabinets d’avocats armés de brevets, de l’autre des tribus à qui la notion même de propriété privée est inconnue. Alexis Tiouka, expert au comité scientifique du Parc Amazonien, témoigne: «Les laboratoires s’intéressent au cacao de la région de Camopi. Certains vont voir les chefs des tribus pour leur faire signer des papiers, mais souvent sans leur expliquer. Allez traduire «développement durable» en Wayana…».
Les tribus se voient alors privées de l’accès aux arbres et la «valeur ajoutée» par des siècles d’essais et d’ajustement des recettes n’est jamais prise en compte. Daniel Joutard, créateur des cosmétiques biologiques Aïny, explique que «les savoirs ancestraux remplacent les coûts de recherche et développement», tandis que l’histoire des produits tient lieu de marketing. «Pour nous, le commerce équitable est nécessaire mais ne suffit pas. Il faut aussi prendre en compte la valeur immatérielle des savoirs et la partager avec les populations qui l’ont créée».
Une logique occidentale plaquée sur les savoirs traditionnels du Sud
Pour que les populations ne se fassent plus «voler» leurs savoirs, les solutions ne viendront probablement pas des conventions internationales: «Le protocole ABS légitime le système des brevets, tout en notifiant l’existence de savoirs traditionnels, déplore Corinne Arnould, du collectif Biopiraterie. Mais les brevets ne sont pas une solution adaptée: c’est notre logique occidentale basée sur l’inventivité et la nouveauté qu’on veut plaquer sur des savoirs ancestraux».
Pour les militants associatifs et les représentants de la population guyanaise, il faut impliquer les populations locales dans les décisions d’exploitation des ressources naturelles. Ce qu’impose normalement le protocole signé à Nagoya: «C’est aussi une manière de sécuriser juridiquement les entreprises: l’information sur les lois, les procédures traditionnelles et les règles du secret devront être échangées réciproquement entre eux et les populations», explique Jean-Dominique Wahiche, professeur de droit du patrimoine naturel au Muséum national d’histoire naturelle.
La biodiversité guyanaise à protéger d’urgence
En Guyane, il est «urgent d’agir» avant que les brevets et l’orpaillage illégal n’aient détruit la biodiversité: «L’irréparable n’est pas encore arrivé, mais il y a urgence à agir, est convaincu Jean Desessard, sénateur Verts de Paris. La France en tant que métropole n’a pas pris conscience de la richesse de la Guyane, elle a gardé une vision utilitariste des Dom-Tom, qu’elle garde pour leurs minerais ou leur sous-sol, mais la vraie richesse c’est la biodiversité». Une richesse qui ne devrait pas avoir de prix.
Audrey Chauvet
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