Par Pascal Canfin, député européen d’Europe Écologie, et Jean Desessard, sénateur Verts de Paris.
Après le succès de la votation citoyenne, quel avenir pour la Poste ?
La rentrée sociale est jaune et bleu cet automne, aux couleurs de La Poste, qui ne sont d’ailleurs pas sans rappeler celles de l’Union européenne. L’Union européenne, qui est souvent montrée du doigt quand il s’agit de chercher le responsable du démantèlement des services publics, en l’occurrence du service postal. Or, si les différentes directives postales ont effectivement ouvert les services postaux à la concurrence, elles n’imposent pas un statut particulier aux opérateurs postaux puisque l’UE n’a aucune compétence en matière de régime de propriété. Autrement dit, elles n’entraînent pas le changement de forme juridique de La Poste que le gouvernement souhaite pourtant voir passer en société anonyme (SA). Les directives n’imposent pas non plus une définition minimale du service public, puisqu’il n’en existe pas au niveau communautaire. Elles garantissent uniquement un ensemble commun d’obligations qui constituent le service universel : au moins une distribution et une levée cinq jours sur sept à un prix abordable sur l’ensemble du territoire. Libre aux États membres de donner ensuite une définition plus large et plus ambitieuse du service public postal. Libre à eux également de déterminer les modalités de son financement. Autrement dit, l’Europe est responsable de la libéralisation (ouverture à la concurrence), quand le gouvernement français est lui responsable de la privatisation (changement de statut).
À la différence des sociaux-démocrates européens, le groupe des Verts au Parlement européen a voté contre la directive de libéralisation postale de 2008, comme il l’avait fait pour celles de 1997 et 2002. En effet, il est absurde, tant d’un point de vue économique qu’écologique, que plusieurs tournées de postes effectuées par des opérateurs différents se superposent là où aujourd’hui une seule tournée suffit. Par ailleurs, ouvrir à la concurrence la livraison du courrier alors que le volume concerné diminue en raison de la montée en puissance d’Internet est un non-sens économique. La libéralisation a détérioré les conditions sociales et l’emploi dans le secteur postal des États membres qui ont d’ores et déjà fait ce choix. En Allemagne, par exemple, la libéralisation a eu pour conséquence non seulement une perte de 29 000 emplois chez l’opérateur historique, dont 15 000 non compensés par des créations chez les nouveaux concurrents, mais aussi la précarisation des emplois créés par les nouveaux opérateurs. En Autriche, ce sont 9 000 emplois, d’ici à 2015, qui doivent être supprimés. Le patron de La Poste belge propose aujourd’hui un statut de facteur « low cost », à temps partiel imposé pour un salaire au rabais, 25 % moins élevé que celui des « vrais facteurs ». En Suède, le niveau d’emploi a baissé d’un tiers, non compensé par les nouveaux opérateurs. La libéralisation du service postal a également entraîné la diminution de la qualité des services offerts. La Suède, qui a été la première à libéraliser, a aujourd’hui le service postal le moins accessible d’Europe. C’est également l’État membre où le timbreposte est le plus cher (90 % de hausse entre 1993 et 2003).
Quant à la privatisation engagée en France par le projet de loi, le gouvernement la justifie par un besoin de ressources supplémentaires pour le groupe dans un contexte d’endettement important. Mais si l’endettement de La Poste se monte aux alentours de six milliards d’euros, c’est en partie parce que l’État n’a pas compensé à un niveau approprié les missions de service public qui lui sont dévolues. Alors que l’État a su trouver l’argent pour soutenir les banques privées au moment fort de la crise, il ne prend pas ses responsabilités quand il s’agit d’assurer le financement des missions de service public de La Poste. À titre d’illustration, le fonds de péréquation territorial mis en place par l’État pour permettre à La Poste d’accomplir sa mission d’aménagement du territoire est doté de 150 millions d’euros pour un coût estimé à 300 ou 400 millions d’euros. Mais ce qui frappe surtout dans le débat actuel, c’est l’absence de vision stratégique du gouvernement pour le groupe dont il est pourtant le premier actionnaire. En effet, alors que les besoins évoluent, que la population vieillit, c’est plutôt la nature du métier postal qui devrait être au coeur du débat actuel. Les agents de La Poste remplissent une fonction sociale irremplaçable ; le besoin et la demande de « services à la personne » ne cessent de croître. La Poste n’a-t-elle pas ici aussi un rôle à jouer en utilisant son extraordinaire réseau de livraison et de contacts pour offrir d’autres prestations que les colis et le courrier ? Malheureusement ces questions, qui permettraient de défricher de nouveaux territoires pour le service public, restent très largement absentes du débat politique. Une absence de vision stratégique qui ne peut que renforcer les craintes des salariés de La Poste de voir l’État diminuer sa part dans le capital malgré ses engagements actuels, comme ce fut le cas en son temps pour France Télécom et GDF. Des craintes partagées par les citoyens et usagers de La Poste. La mobilisation autour de la votation citoyenne de samedi dernier en est l’illustration la plus visible qui demande un référendum sur l’avenir du service postal. Il revient désormais aux sénateurs, qui examineront le projet de loi en novembre, de porter cette demande. La Poste d’aujourd’hui doit anticiper et accompagner les mutations (sociétales, écologiques, technologiques…) de demain.
Retrouvez cette tribune sur le site de l’Humanité : http://www.humanite.fr/2009-10-10_L-Humanite-des-debats_De-nouveaux-territoires-pour-le-service-public