Mercredi 16 juin, le Sénat a organisé un débat sur le dernier rapport de la Mission d’Evaluation et de Contrôle de Sécurité Sociale (MECSS). Le rapport présenté portait sur les retraites. A l’occasion du débat en séance, Jean Desessard a défendu la position des écologistes face au projet de réforme présenté par le Ministre Woerth.
Mme la présidente. La parole est à M. Jean Desessard.
M. Jean Desessard. Madame Demontès, monsieur Leclerc, je vous remercie de la qualité de votre rapport. J’ai apprécié cette étude complète et documentée, qui a le mérite de rendre clair et lisible un sujet ardu.
Hasard du calendrier, nous avons eu ce matin connaissance du projet de réforme des retraites du Gouvernement.
M. Claude Domeizel. La presse en a eu connaissance, pas nous !
M. Jean Desessard. Nous avons, en effet, lu la presse !
Monsieur le secrétaire d’État, vous avez appliqué le sophisme : « Puisque l’on vit plus longtemps, on doit travailler plus longtemps ».
M. François Trucy. Eh oui !
M. Jean Desessard. Non ! Nous, écologistes – les vrais, s’entend ! (Sourires sur les travées de l’UMP.) – refusons ce postulat pour trois raisons.
Premièrement, parlons progrès social : outre les progrès dans le domaine de la médecine, on pourrait se demander si ce n’est pas aussi parce que l’on travaille moins longtemps que l’on vit plus longtemps.
Mme Gisèle Printz. Voilà !
M. Jean Desessard. C’est du moins ce que laissent penser les avancées sociales réalisées au XXe siècle, comme les congés payés, la retraite à soixante ans ou encore la réduction du temps de travail.
M. Guy Fischer. Très bien !
M. Jean Desessard. Deuxièmement, parlons taux de productivité, puisque vous l’évoquez dans le rapport : les écologistes pensent qu’il existe un degré d’activité nécessaire pour garantir le bon fonctionnement de la société sans avoir besoin de créer toujours plus d’activité. Au-delà d’un certain seuil, qui diminue régulièrement vu l’accroissement de la productivité, nous n’avons pas besoin d’activités toujours plus consommatrices d’énergie et de ressources naturelles ou génératrices de désastres, tels que celui du golfe du Mexique.
Il nous faut donc trouver un équilibre entre la préservation des ressources et le temps de travail socialement utile. C’est dans cette articulation entre temps de formation, emploi utile et temps de loisirs que doit s’évaluer la part du PIB à consacrer aux retraites.
Troisièmement, enfin, le rapport de la MECSS dégage d’autres pistes pour résorber le déficit des retraites, par exemple, une remise à plat réellement ambitieuse de la fiscalité.
Monsieur le secrétaire d’État, vous pensez que faire travailler davantage les seniors est la solution miracle à l’épineuse question du financement des retraites.
Le rapport de la MECSS fait état des mesures en faveur de l’emploi des seniors adoptées ces dernières années.
Il faut le reconnaître, certaines de ces dispositions ont partiellement porté leurs fruits : l’activité des salariés de plus de cinquante-cinq ans a progressé.
Oui, depuis 2008, le taux d’emploi des personnes âgées de 55 à 64 ans a légèrement progressé, de 0,7 point. Mais, par ailleurs, il y a de plus en plus de chômeurs.
Si l’on se penche sur la situation des personnes de 25 à 49 ans, leur taux d’emploi a régressé de 1,6 point, soit 327 000 emplois en moins.
Dans un contexte de crise, les réformes des retraites menées par la droite depuis 1993 ont abouti à un non-sens : on a aggravé la situation des moins de cinquante ans sur le marché du travail.
Dès lors, pourquoi s’obstiner dans cette direction ?
Pourquoi obliger les seniors à travailler plus longtemps quand on connaît leur impact négatif sur l’emploi des personnes de 25 à 49 ans ?
Si vous pensez qu’il est possible de faire davantage travailler les seniors, pourquoi ne pas faire travailler plutôt les jeunes ?
Monsieur le secrétaire d’État, expliquez-moi les raisons pour lesquelles les seniors trouveraient plus facilement un emploi que les jeunes ? S’il n’y en a pas, alors faisons travailler les jeunes ! Et si l’on n’arrive pas à faire travailler les seniors, il y aura du chômage, et pour les uns, et pour les autres. Le report de l’âge légal de départ à la retraite à 62 ans aboutira, par conséquent, à une baisse des pensions à cause des décotes.
Oui, l’emploi en France doit être amélioré. Chaque personne le souhaitant doit pouvoir trouver un travail, en particulier les femmes et les jeunes, qui sont les plus touchés par le chômage et la précarité. C’est à eux que les politiques publiques doivent s’adresser, plutôt que d’imposer de travailler à des seniors qui n’ont rien demandé.
Non seulement les femmes et les jeunes ont envie de travailler et possèdent la santé pour cela, mais un travail leur permettrait également de les sortir de la précarité. En outre, une hausse de l’emploi représenterait une source de cotisations supplémentaires.
Si les 2,7 millions de Français au chômage, indemnisés en moyenne 1 040 euros par mois, selon les chiffres de l’INSEE, trouvaient un emploi, ce serait 33 milliards d’euros de cotisations chômage en moins à verser par an et 6,7 milliards d’euros de cotisations supplémentaires apportées par ces nouveaux travailleurs.
On repousse l’âge de départ à la retraite, mais on repousse aussi aujourd’hui, dans les faits l’âge de la première embauche. En effet, comme le rappelle le rapport de la MECSS, les droits à la retraite accumulés à l’âge de trente ans sont de plus en plus faibles, génération après génération. Obtenir un CDI devient un parcours du combattant pour les jeunes diplômés et une mission impossible pour les moins qualifiés.
M. Guy Fischer. C’est vrai !
M. Jean Desessard. Jusqu’où devrons-nous aller pour avoir des droits ?
Quant aux femmes, leurs carrières sont souvent plus décousues que celles des hommes. Elles sont sous-représentées dans la population au travail et surreprésentées dans les emplois les plus précaires. Nombre d’entre elles subissent des emplois à temps partiel imposé. Elles souffrent de rémunérations inférieures à celles de leurs collègues masculins. Tout cela fait que leur retraite ne représente que 56 % de celle des hommes.
Selon la Commission européenne, si l’on atteignait l’égalité entre les femmes et les hommes dans le domaine de l’emploi, des conditions de travail et des rémunérations, le PIB de la France pourrait croître de 20 %.
Les femmes sont particulièrement présentes dans les secteurs de la santé, de l’éducation et de la petite enfance. Sans les cantonner à ces professions, les besoins sont énormes ! On peut donc faire vite…
Selon nos calculs, l’égalité entre les hommes et les femmes aurait un impact positif à hauteur de 25 milliards d’euros de cotisations par an.
À l’horizon 2030, là encore selon la Commission européenne, si l’on arrivait à l’égalité entre les hommes et les femmes, l’apport de cotisations supplémentaires représenterait la somme non négligeable de 78 milliards d’euros, ce qui n’est pas rien !
Monsieur le secrétaire d’État, sans doute allez-vous me dire que l’égalité entre les hommes et les femmes relève de l’utopie ?
M. Georges Tron, secrétaire d’État. Non !
M. Jean Desessard. Mais faire travailler tous les seniors, est-ce bien réaliste ? Est-ce la bonne direction ?
J’ai indiqué que les écologistes posaient comme préalable une autre organisation sociale, respectueuse de l’environnement et non soumise à la course effrénée à la croissance.
En effet, le développement considérable de la productivité depuis une cinquantaine d’années a réduit de façon spectaculaire le nombre d’heures utiles, notamment, dans l’agriculture, le bâtiment, l’industrie, le travail ménager. Demain, les robots intelligents nous délivreront de tâches aujourd’hui fastidieuses. D’ailleurs, leur impact n’a pas été mesuré dans le rapport du COR. Il est vrai qu’ils ne sont pas taxés, eux, à la différence du travail humain.
Je pourrais parler de productivité dans tous les domaines, mais je ne voudrais pas que cette reconnaissance de l’état de fait qu’une production industrielle nécessite dix fois moins de main-d’œuvre qu’il y a trente ans soit interprétée comme un hymne à la productivité.
En effet, se réjouir que le progrès technique permette de se libérer des travaux pénibles, d’éviter des gaspillages par une meilleure maîtrise de l’outil, de dégager des heures pour les loisirs et sa vie familiale ne signifie pas qu’il faille l’étendre de façon « idiote » dans les domaines des services.
En effet, certains entendent par productivité la suppression des temps de pause, la standardisation des salariés, l’augmentation du nombre de clients par guichetier, de malades par infirmière. Il s’agit de mal-être et de souffrance au travail, qui ne participent pas d’une amélioration de la qualité de vie.
Sachons donc faire la part des choses lorsque nous parlons de productivité : il faut distinguer la productivité technique de la productivité de rentabilité.
Enfin, monsieur le secrétaire d’État, je crains que le débat sur le projet de loi qui nous attend à la rentrée ne s’inscrive dans un plan d’austérité à l’échelle européenne, comme c’est déjà le cas en Grèce ou en Italie.
La réforme des retraites ne doit pas se faire par idéologie néolibérale. Son but doit être de redonner confiance aux citoyens dans le contrat social et de garantir une pension aux générations futures, et non de donner des gages aux marchés financiers.
Le rapport de la MECSS est une base de réflexion intéressante, mais il n’amène pas les écologistes aux mêmes conclusions que le Gouvernement. Les Verts prennent position pour le maintien de l’âge de départ à la retraite à 60 ans, pour une autre organisation des temps de vie dans la société, pour une remise à plat efficace et juste de la fiscalité.
Pour conclure, je soulignerai, et tel était le sens de mon intervention, que l’urgence n’est pas de faire travailler toujours plus longtemps les seniors qui ne le souhaitent pas : elle est de favoriser l’emploi des catégories les plus touchées par la précarité, en particulier les jeunes et les femmes, qui, eux, aspirent à l’intégration sociale que représente un travail. (Applaudissements sur les travées du groupe socialiste et du groupe CRC-SPG.)
Vous pouvez retrouver l’intégralité du débat sur le site du Sénat.